Retour aux articles

La loyauté de la preuve dans l’arbitrage

Pénal - Procédure pénale, International
27/08/2019
La 5e rencontre de la cour d'appel de Paris et de la Faculté de droit de Sceaux a eu lieu le 20 juin 2019 à la cour d'appel de Paris autour du principe de loyauté de la preuve. 
Le principe de loyauté fait partie de ceux dont la définition et la consécration sont aujourd’hui encore débattues [1]. Le flou qui l’entoure en droit judiciaire et en procédure pénale contraste à première vue avec l’accueil qu’on lui réserve dans le droit de l’arbitrage [2].
 
Depuis le décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011, l’article 1464, alinéa 3, du Code de procédure civile énonce pour l’arbitrage interne que « les parties et les arbitres agissent avec célérité et loyauté dans la conduite de la procédure ». Il s’agit, avec l’article 763 du Code de procédure civile, de la seule référence expresse au concept de loyauté dans le Code de procédure civile [3]. 
Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’elle concerne le droit de l’arbitrage. Le fondement contractuel de l’arbitrage en fait un terrain propice à l’épanouissement de l’idée de loyauté [4]. La bonne foi est en outre considérée comme l’un des principes essentiels du droit du commerce international que l’on dénomme parfois lex mercatoria. L’arbitrage, qui est à l’origine la justice du commerce international ne pouvait que s’en faire l’écho. On y retrouve donc, dans un domaine empreint de contractualisme, positivement, l’exigence d’un esprit de coopération et, négativement, un devoir de ne pas se comporter de mauvaise foi. Tout ceci explique que l’arbitrage soit un domaine dans lequel le devoir de loyauté a depuis longtemps acquis droit de cité.
 
En droit de l’arbitrage interne comme international, l’affirmation d’une obligation de loyauté ne date pas de 2011. Elle n’a en réalité « n’a jamais cessé d’exister » [5]. Pour les arbitres, pour les parties et pour leurs conseils [6], il s’agit d’une norme comportementale dont la violation est sanctionnée de longue date, les textes ayant en l’occurrence codifié une jurisprudence existante [7] qui elle-même suivait des décisions arbitrales.
La consécration la plus emblématique du principe par les juridictions étatiques est sans doute celle qui impose aux parties un devoir général de ne pas se contredire au détriment d’autrui. On le rattache aujourd’hui au mécanisme de l’estoppel issu de la common law. Sa méconnaissance a été progressivement sanctionnée par la cour d’appel de Paris à partir de 2002 [8] puis par la cour de cassation dans l’arrêt Golshani de 2005 [9] sous la forme d’une fin de non-recevoir. Mais la loyauté ne se limite pas à l’estoppel ou à la présomption de renonciation concernant les irrégularités qui n’auraient pas été invoquées en temps utile devant l’arbitre [10]. On y range également l’obligation de concentration dégagée par l’arrêt Cesareo [11]. En matière d’arbitrage, elle se manifeste de façon plus rigoureuse puisqu’elle ne concerne pas les seuls moyens mais s’étend également aux demandes [12].
 
En revanche et de manière surprenante, on évoque finalement assez peu la loyauté sur son habituel terrain de prédilection : celui de la preuve [13]. On pourrait être tenté d’y voir le signe d’une évidence. Les parties sont tenues, en matière d’arbitrage, de participer de bonne foi et de manière coopérative aux phases successives de la procédure. Bien qu’elle soit rarement énoncée expressément dans les conventions internationales ou les législations nationales, cette exigence constitue un aspect fondamental des conventions d’arbitrage et une conséquence implicite des conventions et législations pertinentes [14].
Est-ce à dire, alors, que la loyauté de la preuve ne présente aucune originalité dans l’arbitrage ? Ce serait sans doute aller trop vite en besogne. La question est en réalité complexe. En droit judiciaire, l’administration de la preuve implique nécessairement l’intervention du juge. Mais en matière d’arbitrage, la spécificité de l’arbitre qui ne dispose pas des moyens d’un juge étatique rend la question singulière. 
 
Il apparaît dès lors nécessaire de voir d’abord en quoi la loyauté de la preuve présente une spécificité dans l’arbitrage par rapport à la justice étatique. Il s’agira ensuite de s’attacher à définir le contenu de la loyauté de la preuve dans l’arbitrage. Enfin, il conviendra d’en déterminer la sanction. Tels sont les trois points essentiels sur lesquels nous voudrions revenir.
 
I.  Quelle spécificité ?
Il y a un particularisme de l’arbitrage qui tient, d’une part, à ses règles procédurales et, d’autre part, à l’office de l’arbitre.
 
Spécificité de la procédure arbitrale.
De manière évidente dans l’arbitrage international avec l’article 1509 du Code de procédure civile [15] et, dans une moindre mesure, dans l’arbitrage interne avec l’article 1464 du Code de procédure civile [16], il existe ainsi une grande liberté des règles de preuve en matière d’arbitrage. Celles-ci vont directement dépendre du contenu de la convention d’arbitrage, de la formulation de l’acte de mission et des choix du tribunal appelé à régler la procédure arbitrale  [17] dans une première ordonnance de procédure arrêtée avec les parties [18].
 
Dans l’arbitrage international, les sources peuvent être diverses : loi nationale de procédure, référence à un Règlement d’arbitrage tel celui de la CCI [19], règles dégagées par la pratique internationale telles les règles de l’International Bar Association [20] ou plus récemment les règles de Prague [21].
 
L’une des difficultés auxquelles l’arbitrage international est confronté réside dans la disparité des systèmes de preuve nationaux [22], sans parler de la diversité des règles déontologiques applicables aux conseils des parties [23]. Dans les pays de common law, les procédures de discovery ou de disclosure obligent les parties à produire, spontanément ou sur demande, tous les documents pertinents y compris ceux qui leur seraient défavorables. Tout autre est le système des pays de droit continental, où il incombe à chaque partie de satisfaire à la charge de la preuve en ne versant aux débats que les pièces qu’elle estime utiles à sa cause  [24]. Cette différence de perception concerne à titre principal les documents et pièces destinés à faire la preuve des éléments factuels du litige, mais elle affecte également la question de savoir si la doctrine et la jurisprudence doivent être révélées de façon exhaustive ou sélective par les avocats [25].  
 
On comprend, dès lors, que ces différences fondamentales puissent affecter la conception même du devoir de loyauté. D’où la nécessité de soumettre chacune des parties engagées dans un arbitrage international à un même niveau de loyauté. Dans cette perspective, l’arbitrage international a su développer des règles propres, qui s’efforcent de réaliser un compromis entre ces deux approches [26]. L’exemple le plus manifeste, et le plus couramment utilisé, en est donné par les règles de l’IBA. A travers les règles dégagées par la pratique internationale, la loyauté prend alors une signification propre qui n’est ni celle de la common law, ni celle du droit continental.
 
Spécificité de l’office de l’arbitre.
Sur le terrain de la loyauté de la preuve, les caractéristiques de l’arbitrage sont à prendre en compte.
 
Comme tout juge, l’arbitre a certes pour fonction de dire le droit (hormis le cas où il statue en tant qu’amiable compositeur) et de trancher le litige [27]. Mais il ne peut, pour autant, être assimilé à un juge étatique. Son office est de trancher des litiges de droit des affaires (rupture d’un contrat d’agent commercial, réseaux de distribution…) qui souvent présenteront une dimension internationale. L’intensité du devoir de loyauté ne saurait donc être envisagée de la même manière tant à l’égard de l’arbitre qu’entre adversaires.
 
A la différence d’un juge étatique, civil ou plus encore pénal, l’arbitre ne dispose pas de moyens qui lui permette de faire émerger « la manifestation de la vérité » au sens de l’article 10 du Code civil, c’est-à-dire à parvenir à tout prix à une forme de « vérité judicaire ». Il doit s’appuyer sur les parties, sur leur collaboration pour cela sans disposer de véritables moyens de coercition. La conception du procès devant l’arbitre demeure naturellement accusatoire puisqu’il tient ses pouvoirs de la volonté des parties. Cette dimension contractuelle explique que l’arbitre, en tant que juge privé, soit dépourvu d’imperium [28]. Il n’a donc pas de pouvoir coercitif à l’égard des parties à l’arbitrage, et a fortiori à l’égard des tiers.
Il en résulte que l’office de l’arbitre dans la recherche des preuves est limité par rapport à celui du juge étatique [29]. Dans la procédure d’arbitrage, les principes habituels de la production forcée des pièces et des témoignages ne s’appliquent pas [30].
 
Quant aux parties elles-mêmes, leur qualité est à prendre en considération. On a généralement à faire à des opérateurs avertis du commerce. Entre elles, le devoir de loyauté doit être relativisé. Comme le soulignait le doyen Carbonnier, « il y a dans tous les procès un combat, à tout le moins un match » et « si les coups bas sont interdits, les simples ruses de guerre ne le sont pas » [31]. On ne saurait exiger des parties à l’arbitrage une totale transparence qui les conduirait à délivrer toutes les preuves « contre elles-mêmes » en fournissant spontanément des armes à son adversaire : « Nemo tenetur edere contra se » disait l’adage [32], avant que le Code de procédure civile de 1975 ne vienne renverser la règle.
 
Ces spécificités de l’arbitrage expliquent que les questions de loyauté ne se posent pas de la même manière que devant un juge étatique.
 
II. Quel contenu ?
Bien que la loyauté de la preuve soit déjà difficile à cerner avec précision en droit commun, on peut tenter d’en distinguer deux facettes, positive et négative, dans l’arbitrage. La première concerne le devoir de loyauté dans la production des preuves. La seconde a trait aux déloyautés dans l’utilisation des preuves.
 
Le devoir de loyauté dans la production des preuves.
Les problèmes de loyauté se posent d’une manière différente en ce qui concerne la preuve documentaire et l’intervention des témoins.
 
S’agissant de la preuve documentaire, le problème posé est avant tout celui de sa complétude. En effet, l’étendue de la production documentaire constitue souvent un point de crispation de la procédure arbitrale. Deux écueils doivent être évités : celui du trop peu et celui du trop. Le trop peu, c’est le problème de la rétention ou de la dissimulation des pièces. Elle consiste pour une partie à retenir indûment des documents qu’elle sait lui être défavorables et qui auraient été utiles aux débats, donc aux arbitres. Le trop, c’est la déloyauté par excès. Une charge documentaire trop lourde allonge la procédure et en augmente le coût, au détriment de l’efficacité de l’arbitrage. Quant aux demandes de production de preuves, elles peuvent dégénérer en abus par la charge excessive qu’elles impliquent pour l’adversaire.
 
Les règles dégagées par la pratique internationale s’efforcent de proposer des solutions de compromis entre les deux approches de la production documentaire issues de la common law et de droits civilistes. Pour fixer un cadre raisonnable, le principe retenu est qu’il n’existe pas d’obligation générale de transparence à l’égard de l’arbitre et de l’adversaire.

C’est ce qui ressort de l’article 3 des « Règles de l’IBA sur l’administration de la preuve dans l’arbitrage international » qui sont les plus couramment suivies. Il prévoit à titre de principe que « chaque partie communique au tribunal arbitral et aux autres parties, dans le délai imparti par le tribunal arbitral, tous les documents à sa disposition et sur lesquels elle entend se fonder » [33]. Toutefois, « dans le délai imparti par le tribunal arbitral, toute partie peut soumettre une demande de production au tribunal arbitral et aux autres parties » [34]. Plus récemment, les Règles de Prague considérées comme une alternative continentale aux règles IBA ont préconisé un « rôle proactif » du tribunal arbitral » dans l’obtention des preuves [35]. Pour autant, elles s’efforcent de limiter radicalement la production de documents en établissant comme règle générale que « le tribunal arbitral et les parties sont encouragés à éviter toute forme de production de documents, y compris de documents conservés sous la forme électronique (e-discovery) » [36].
 
On voit donc qu’il n’y a donc pas de déloyauté, pour une partie à l’arbitrage international, à ne pas révéler spontanément tous les documents qui pourraient lui être défavorables. Simplement, lorsqu’une demande de production est adressée par une partie et ordonnée par le tribunal arbitral, la partie requise doit fournir tous « les documents demandés qui se trouvent en sa possession ou sous son contrôle, et à la production desquels elle ne formule pas d’objection » dans le délai imparti par le tribunal [37]. Les preuves devront être fournies au tribunal arbitral dès lors qu’une demande de production a été faite auprès de lui et que celle-ci répond à un double critère de pertinence et d’absence de fardeau excessif [38]. C’est ainsi que la loyauté est entendue en la matière.
 
S’agissant de la preuve testimoniale, le problème posé porte pour l’essentiel sur sa sincérité. La preuve par témoins soulève des difficultés particulières au regard du principe de loyauté. Elles ont trait, pour l’essentiel, à la sincérité du témoignage recueilli.
 
Une première difficulté concerne le comportement procédural des parties, de leurs représentants ou de leurs salariés, lorsqu’ils sont appelés à jouer un rôle actif dans l’arbitrage en intervenant comme témoins [39]. Dans l’arbitrage interne, l’article 1467, alinéa 2, du Code de procédure civile indique que « le tribunal arbitral peut entendre toute personne » sans indiquer sous quel statut ces personnes sont entendues [40]. Il lui faudra donc, au moment de l’audition faire preuve de sagacité et de clairvoyance afin de détecter un comportement déloyal d’autant que l’audition « a lieu sans prestation de serment ».
En matière d’arbitrage international, la pratique est influencée par la common law et la notion de témoin largement entendue [41]. Le tribunal arbitral va traiter les dépositions comme une preuve testimoniale [42]. Il détermine librement la force probante qu’il leur octroie. On peut alors craindre qu’une partie à l’arbitrage exerce une pression politique ou économique sur l’un de ses employés avant son audition ou la délivrance de son witness statement afin que sa déclaration soit la plus en phase avec ses propres intérêts [43].
 
Une seconde difficulté concerne la pratique de la préparation des témoins [44]. Elle est couramment admise dans l’arbitrage international sous l’influence, à nouveau, des systèmes de common law [45]. Dans les pays de droit continental et notamment en France [46], on y voit une atteinte à l’indépendance du témoin [47], un risque de subornation [48] et un manquement aux règles déontologiques [49]. Pour maintenir une égalité des armes entre les parties et les avocats, le Conseil de l’ordre des avocats du Barreau de Paris a adopté le 26 février 2008 une résolution permettant expressément aux avocats parisiens de préparer les témoins qu’ils souhaitent citer devant un tribunal arbitral international [50].
Reste que la pratique est controversée. Elle peut affecter la spontanéité et même la crédibilité de la déposition surtout quand une préparation agressive « à l’américaine » est pratiquée [51]. Son opportunité paraît directement liée aux modalités de l’audition et, notamment, à la possibilité pour l’avocat de la partie adverse de procéder à un contre-interrogatoire selon le modèle de la cross-examination [52].
 
L’absence de déloyauté dans l’utilisation des preuves.
La problématique est ici différente et les questions susceptibles de se poser multiples. On en évoquera rapidement trois.
 
La première concerne l’utilisation de preuves déloyales dans l’arbitrage. Elle correspond à ce qui constitue le cœur du principe de loyauté de la preuve dans le procès civil et pénal : l’obtention par artifice ou stratagème d’une preuve indue [53]. Les preuves doivent être recherchées loyalement ce qui suppose que celui à qui incombe la charge de la preuve respecte la légalité. En effet, « on ne peut concevoir d’utilisation loyale de preuves qui ait préalablement trouvé sa source dans une infraction à la loi » [54]. Quelles sont les situations visées ? Il s’agit de l’utilisation d’une preuve obtenue par fraude ou manipulation ; l’utilisation de preuves couvertes par une règle de confidentialité, de secret professionnel (legal privilege) ou de secret des affaires ; l’utilisation interdite de documents de négociation (without prejudice) [55] ; l’utilisation irrégulière des éléments d’une procédure pénale dans l’arbitrage [56]… Dans cette perspective, on remarquera que la déloyauté de la preuve perd toute spécificité puisqu’elle tend à se confondre avec la preuve illicite.
 
La seconde question a trait à l’utilisation déloyale de preuves nouvelles devant le juge appelé à contrôler la sentence au stade du recours en annulation ou de l’appel du jugement d’exequatur.
Dans plusieurs arrêts récents, la Cour d’appel de Paris a pris position pour un contrôle approfondi de la conformité à l’ordre public international [57]. Dans l’une de ces décisions [58], il a été jugé qu’aucune limitation n’est apportée aux pouvoirs du juge du contrôle de rechercher en droit et en fait tous les éléments concernant l’un des vices énumérés par l’article 1520 CPC. A cette fin, il peut rouvrir les débats et ordonner aux parties de fournir des pièces pertinentes [59].
Cette nouvelle conception du contrôle de l’ordre public permet potentiellement à une partie de se réserver des éléments de preuve décisifs pour le stade du recours, si d’aventure le résultat de la sentence ne lui était pas favorable. La déloyauté dans l’utilisation de la preuve rejoint alors la conception ordinaire de l’estoppel en matière d’arbitrage [60]. Il est très critiquable que l’on puisse juger de la sentence sur la base d’autres preuves que celles qui ont été soumises aux arbitres.
 
La troisième question est relative à l’utilisation déloyale des preuves issues de l’arbitrage. On considère que la confidentialité est inhérente à l’arbitrage international, même si le droit français n’en fait pas un principe de l’arbitrage. Elle couvre « l’existence même de la procédure, le caractère privé de l’audience arbitrale (non ouverte au public) et l’interdiction de communiquer les documents produits à des tiers » [61]. En principe, il est donc interdit de transmettre à des tiers des éléments de la procédure arbitrale [62]. En pratique, la question se pose de savoir si les acteurs de l’arbitrage ont en France l’obligation de dénoncer les infractions pénales qui seraient révélées par la procédure [63]. Au-delà, il faut se demander s’il serait déloyal, pour une partie, de prétendre transmettre à une juridiction pénale des éléments de la procédure arbitrale, pour faire pression sur son adversaire. Les évolutions en la matière tendent plutôt à préconiser que d’éventuelles indices d’infractions puissent faire l’objet de transmissions aux autorités pénales. La loyauté entre les parties ne saurait permettre de couvrir des comportements pénalement répréhensibles.
 
Quelle sanction ?
On peut s’interroger sur la manière de faire respecter ou de sanctionner les atteintes portées à la loyauté de la preuve à deux stades de la procédure.
 
La sanction du défaut de loyauté de la preuve pendant l’instance arbitrale.
Comment le refus d’une partie ou d’un tiers de participer à la production de la preuve va-t-il être réglé devant l’arbitre ? Il faut ici distinguer l’hypothèse où une partie refuse de verser une preuve aux débats de celle du refus de comparution d’un témoin.
 
S’agissant de la preuve documentaire, qu’advient-il en cas de résistance ? Lorsque l’ordonnance de procédure vise une pièce précise, il peut arriver que l’adversaire refuse de la produire en invoquant son inexistence. Quand elle vise un ensemble de documents, la question se pose de savoir s’il est déloyal de ne pas révéler l’existence de documents que l’on estime non communicables pour des raisons de confidentialité [64]. La partie requérante ayant eu la charge de démontrer qu’il est raisonnable de penser que ces documents existent [65], il lui appartiendra ensuite de demander au tribunal de tirer les conséquences appropriées d’un refus de produire.
 
Si l’on suppose que l’existence du document est attestée, de quels moyens dispose le tribunal arbitral ?
En arbitrage interne, il peut adresser une injonction à une partie de produire un élément de preuve qu’elle détiendrait « selon les modalités qu’il détermine et au besoin à peine d’astreinte » [66].
En matière d’arbitrage international, l’utilisation de la contrainte s’avère beaucoup plus problématique. C’est pourquoi, les règles édictées par la pratique prévoient d’autres formes de sanctions. Si sans raison satisfaisante, la partie requise ne fournit pas ces documents « le tribunal arbitral peut en déduire que ce document est contraire aux intérêts de cette partie » [67]. En outre, si le tribunal arbitral estime qu’une partie n’a pas agi de bonne foi dans l’administration de la preuve, il peut en tenir compte dans l’allocation des coûts de l’arbitrage [68]. En somme, la déloyauté est sanctionnée dans la sentence, tant quant à la décision prise par les arbitres sur le fond que dans leur décision relative aux condamnations pécuniaires.
 
La seconde hypothèse concerne le refus de comparaître d’un témoin [69]. Quelles conséquences le tribunal arbitral peut-il en tirer ?
Dans l’arbitrage interne, il n’entre pas dans les pouvoirs de l’arbitre d’adresser une injonction sous astreinte à un tiers [70]. Les textes ne prévoient pas qu’on puisse saisir le juge étatique à cette fin. Par conséquent, le tribunal arbitral pourra seulement tirer les conséquences d’un tel refus en ne tenant pas compte, par exemple, de la déclaration écrite du témoin [71].
En matière d’arbitrage international, les règles IBA, font indirectement peser la responsabilité sur la partie qui, sans raison satisfaisante, ne fournit pas le témoignage demandé ou ordonné. Il en sera déduit que cette preuve était contraire à ses intérêts [72].
 
La sanction du défaut de loyauté de la preuve lors du contrôle de la sentence. Dans un arrêt de 2009 ayant à statuer en matière d’estoppel [73] la cour de cassation avait affirmé qu’« il appartient au juge de l’annulation de faire respecter la loyauté procédurale des parties à l’arbitrage ». Est-ce à dire que le juge du contrôle puisse systématiquement sanctionner les déloyautés dans l’administration de la preuve ?
 
Rien n’est moins sûr. Les auteurs du décret de 2011 n’ont pas fait figurer le défaut de loyauté parmi les cas d’annulation de la sentence [74]. De tels manquements ne peuvent donc être appréhendés qu’à travers les griefs limitativement énumérés sur la base desquels le juge français exerce son contrôle de la sentence [75]. Dans cette perspective, on pourrait penser que les manquements les plus choquants à la loyauté de la preuve soient sanctionnés au titre de l’atteinte à l’ordre public international. Celui-ci ne recouvre-t-il pas les principes fondamentaux relatifs à la justice et à la morale que l’État désire protéger [76] ? Mais l’exigence de loyauté ne paraît pas répondre à la définition de l’ordre public international quand bien même elle serait de l’« essence » de l’arbitrage [77].
 
C’est sans doute la raison qui explique la position adoptée dans l’affaire des Chantiers de l’Atlantique [78] qui a connu des développements parallèles devant la High Court of justice de Londres et devant la Cour d’appel de Paris. La question de la sanction de la déloyauté s’y est posée en France au stade de l’appel de l’ordonnance d’exequatur. Il était en l’occurrence reproché à la société Gaz Transport et Technigaz (GTT) d’avoir gravement manqué à son devoir de loyauté procédurale en raison de la dissimulation délibérée de pièces touchant directement à la matière litigieuse et d’un témoignage délibérément trompeur devant les arbitres. La cour d’appel de Paris a pourtant jugé que cela pouvait rester sans incidence sur l’annulation ou le refus d’exequatur dès lors que le juge saisi de ces recours estime que la déloyauté ainsi caractérisée n’a pas été déterminante dans la solution consacrée par la sentence.
 
Il résulte de cette jurisprudence que seule une fraude procédurale démontrée expose la sentence à une annulation ou un refus d’exequatur en vertu de l’article 1520, 5° du CPC. Mais la fraude procédurale, comme l’a démontré l’arrêt Thalès [79], reste strictement définie puisqu’elle « suppose que des faux documents aient été produits, que des témoignages mensongers aient été recueillis ou que des pièces intéressant la solution du litige aient été frauduleusement dissimulées aux arbitres, de sorte que la décision de ceux-ci a été surprise » [80]. Eu égard, au nombre limitatif de griefs autorisant l’annulation, la solution paraît juste.
 
Bien que cela puisse au premier abord surprendre, le principe de la loyauté de la preuve dans l’arbitrage connaît finalement une application limitée et très circonstanciée, ce qui est heureux. En avoir une compréhension trop extensive conduirait immanquablement à ruiner d’autres principes tout aussi essentiels de l’arbitrage, celui de célérité et celui d’efficacité. Ce serait également oublier le rôle premier de l’arbitrage qui est de trancher des différends commerciaux entre parties.
 
[1] V. pour une étude d’ensemble, L. Cadiet, Le principe de loyauté devant le juge civil et commercial, Procédures, déc. 2015, dossier 10.
[2] E. Kleiman et S. Saleh, Célérité et loyauté en droit français de l’arbitrage international : quels pouvoirs et quelles responsabilités pour les arbitres et les parties ?, Cah. arb. 2012/1, p. 99, spéc. n° 30 et s. ; J. Ortscheidt, Illustrations du principe de loyauté procédurale dans la conduite de l’arbitrage, Justice & cassation 2014.  85, spéc. n° 8 ; S. Grémaud, Les perspectives des obligations de loyauté et de célérité, Rev. CEFAREA, n° 20, 2018, po. 13 et s.
[3] L. Cadiet, art. préc., n° 3 et n° 9.
[4] E. Kleiman et S. Saleh, art. préc., n° 37 et s.
[5] Ch. Jarrosson et J. Pellerin, Le droit français de l’arbitrage après le décret du 13 janvier 2011, Rev. arb. 2011. 1 n° 34.
[6] E. Loquin, J.-Cl. Procédure civile, fasc. 1036, Arbitrage. Instance arbitrale. Procédure devant les arbitres, 2015, spéc. 113 et s.
[7] E. Kleiman et S. Saleh, art. préc., n° 37 et s.
[8] CA Paris, 12 sept. 2002, Rev. arb. 2003. 173, note M.-E. Boursier.
[9] Cass. 1re civ. 6 juill. 2005, n° 01-15.912, Bull. civ. I, n° 302 ; Rev. arb. 2005. 993, note Ph. Pinsolle.
[10] Article 1466 CPC pour l’arbitrage interne auquel renvoie expressément l’article 1506, alinéa 3, CPC pour l’arbitrage international ; E. Kleiman et S. Saleh, art. préc., n° 37 et s.
[11] E. Loquin, J.-Cl. Procédure civile, fasc. 1036, op. cit., n° 117 et s. ; E. Kleiman et S. Saleh, art. préc., n° 52.
[12] Cass. 1re civ. 28 mai 2008, n° 07-13.266, Bull. civ. I, n° 153 ; adde, E. Loquin, De l’obligation de concentrer les moyens à l’obligation de con centrer els demandes dans l’arbitrage, Rev. arb. 2010. 201.
[13] L. Cadiet, art. préc., n° 7.
[14] G.-B. Born, International Commercial Arbitration, Kluwer Law International, 2009, p. 1004
[15] L’article 1509 CPC énonce que « la convention d’arbitrage peut, directement ou par référence à un règlement d’arbitrage ou à des règles de procédure, régler la procédure à suivre dans l’instance arbitrale. Dans le silence de la convention d’arbitrage, le tribunal arbitral règle la procédure autant qu’il est besoin, soit directement, soit par référence à un règlement d’arbitrage ou à des règles de procédure ».
[16] L’article 1464 CPC dispose s’agissant de l’arbitrage interne qu’« à moins que les parties n’en soient convenues autrement, le tribunal arbitral détermine la procédure arbitrale sans être tenu de suivre les règles établies pour les tribunaux étatiques ».
[17] F. Ruhlmann et O. Gutkes, L’absence de règles de preuve spécifiques dans les arbitrages internationaux : remèdes souhaitables, RDAI 1995. 437.
[18] V. article 24 Règl. CCI, 1er mars 2017.
[19] V. article 22 Règl. CCI, 1er mars 2017.
[20] Règles de l’IBA sur l’administration de la preuve dans l’arbitrage international, version révisée du 29 mai 2010.
[21] Règles sur la conduite efficace des procédures en arbitrage international, 14 décembre 2018 ; V. à cet égard, M. Henry, Les Prague Rules : ou comment le vent d’est pourrait insuffler une dynamique vertueuse à l’arbitrage, Rev. arb. 2019. 315 ; F. Poloni, Le lancement des règles de Prague : nouvel outil nécessaire ou superflu pour l’arbitrage international, August & Debouzy, 2 janv. 2019.
[22] X. Boucobza, L’obtention des preuves à l’étranger : US vs France, in Mélanges en l’honneur de Jean-Jacques Daigre, Lextenso-Joly, 2017, p. 7 et s. J. El Ahdab, L’éthique dans la conduite et la gestion de l’arbitrage, Fédération des centres d’arbitrage, 2015, n° 31.
[23] J. El Ahdab, art. préc., n° 31.
[24] Article 9 CPC ; Article 1353 du code civil (réd. O. n° 2016-131 10 févr. 2016).
[25] V. à cet égard, A. Descombes, Compte-rendu IVe colloque, Regards croisés franco-espagnols sur le thème des bonnes pratiques dans l’arbitrage, Club Español del Arbitraje et le Comité Français de l’Arbitrage, Madrid, nov. 2012, Cah. arb. 2013/1, p. 275.
[26] J. El Ahdab, art. préc., n° 31.
[27] D. d’Ambra, L’objet de la fonction juridictionnelle : dire le droit et trancher le litige, thèse Strasbourg 3, préf. G. Wiederkehr, coll. Bibl. dr. priv., t. 236, LGDJ, 1994.
[28] E. Loquin, op. cit., n° 4 et n° 19 et s. ; Ch. Jarrosson, Réflexions sur l’imperium, Études offertes à Pierre Bellet, Litec, 1991, p. 245.
[29] E. Loquin, op. cit., n° 19.
[30] V. notamment, R. Perrot, L’administration de la preuve en matière arbitrale, Rev. arb. 1974. 159 ; L’application à l’arbitrage des règles du NCPC, Rev. arb. 1980. 642 ; B. Moreau, L’intervention du tribunal au cours de la procédure arbitrale en droit français et comparé, Rev. arb. 1978. 323.
[31] J. Carbonnier, Droit civil, vol. 1, coll. Quadrige, PUF, 2004, n°188, p. 363.
[32] H. Solus et R. Perrot, Droit judiciaire privé, t. 3, Procédure de première instance, Sirey, 1991, n° 641, qui lient précisément ce principe au caractère accusatoire de la procédure.
[33] Article 3.1 IBA Rules.
[34] Article 3.1 IBA Rules.
[35] Article 2 Prague Rules.
[36] Article 4.2 Prague Rules.
[37] Articles 3.4 et s. IBA Rules.
[38] Article 3.3 et article 9.2 IBA Rules.
[39] J. El Ahdab, L’éthique dans la conduite et la gestion de l’arbitrage, art. préc., n° 29.
[40] Rappr. article 25.3 Règl. CCI, 1er mars 2017.
[41] L. Weiller, L’audition des témoins dans l’arbitrage, compte-rendu atelier de pratique arbitrale du Comité français de l’arbitrage du 17 mai 2011, Rev. arb. 2011. 864, spéc. p. 866.
[42] Article 4.2 IBA Rules.
[43] J. El Ahdab, L’éthique dans la conduite et la gestion de l’arbitrage, art. préc., n° 29.
[44] L. Weiller, L’audition des témoins dans l’arbitrage, art. préc., p. 867-868 ; A. Kirry, L’avocat et son témoin, Procédures déc. 2016, étude 11.
[45] Article 4.3 IBA Rules.
[46] A. Kirry, L’avocat et son témoin, art. préc., n° 4 et s.
[47] Article 214 CPC.
[48] Article 434-15 C. pén.
[49] Articles 1 et 5 Règl. Intérieur national des Barreaux.
[50] Cette résolution énonce que « dans le cadre des procédures arbitrales internationales, situées en France ou à l’étranger, il entre dans la mission de l’avocat de mesurer la pertinence et le sérieux des témoignages produits au soutien des prétentions de son client, en s’adaptant aux règles de procédure applicables. Dans cet esprit, la préparation du témoin par l’avocat avant son audition ne porte pas atteinte aux principes essentiels de la profession d’avocat ».
[51] L. Weiller, L’audition des témoins dans l’arbitrage, art. préc., p. 868.
[52] L. Weiller, art. préc., p. 868.
[53] Cass. 1re civ. 25 févr. 2016, n° 15-12.403, Bull. civ. I, n° 48 ; JCP 2016, 583, note A. Aynès ; D. 2016. 884, note J.-C. Saint-Pau, production en justice d’enquêtes privées d’assurance, Cass. 1re civ. 22 sept. 2016, n° 15-24.015, Bull. civ. I, n° 1878 ; D. 2017. 490, note B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, opérations de surveillance et de filature.
[54] A. Leborgne, L’impact de la loyauté sur la manifestation de la vérité ou le double visage d’un grand principe, RTD civ. 1996. 535, spéc. II, A.
[55] V. à cet égard, A. Descombes, Compte-rendu IVe colloque, Regards croisés franco-espagnols sur le thème des bonnes pratiques dans l’arbitrage, Club Español del Arbitraje et le Comité Français de l’Arbitrage, Madrid, nov. 2012, Cah. arb. 2013/1, p. 275, compte-rendu de la première table ronde sur « les bonnes pratiques des avocats ».
[56] V. Spécialement sur cette question, P. Beauvais, La communication des éléments d’une procédure pénale dans un arbitrage, Rev. arb. 2019. 47.
[57] CA Paris 21 févr. 2017, Belokon, n° 15/01650, D. 2017. 2054, obs. S. Bollée ; RDC 2017, 304, obs. X. Boucobza et Y.-M. Serinet ; Rev. arb. 2017. 915, note S. Bollée et M. Audit ; CA Paris 16 mai 2017, n° 15/17442, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; D. 2017. 2559, obs. T. Clay ; JDI 2017. 20, note E. Gaillard ; Rev. arb. 2018. 248, note J.-B. Racine.
[58] CA Paris 16 janv. 2018, MK Group, n° 15/21703, D. 2018. 1635, note M. Audit ; Gaz. Pal. 2018, n° 11, p. 25, obs. D. Bensaude ; JDI 2018, note S. Bollée ; Rev. arb. 2018. 401, note S. Lemaire.
[59] CA Paris, 10 avril 2018, Alstom, n° 16/11182, D. 2018. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; D. 2018. 2448, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2018. 574, note E. Gaillard.
[60] J. Ortscheidt, Illustrations du principe de loyauté procédurale dans la conduite de l’arbitrage, art. préc., n° 8.
[61] M. Henry, Infraction pénale et confidentialité de l’arbitrage : droits et obligations des arbitres et des conseils, Rev. arb. 2019. 65, spéc. 4.
[62] Article 3.13, IBA Rules.
[63] V. sur cette question, les analyses très intéressantes de M. Henry, Infraction pénale et confidentialité de l’arbitrage, art. préc., n° 7 et s.
[64] A. Descombes, art. préc., loc. cit.
[65] Article 4.2 IBA Rules.
[66] Article 1464, alinéa 3, CPC.
[67] Article 9.5 IBA Rules.
[68] Article 9.7 IBA Rules.
[69] L. Weiller, L’audition des témoins dans l’arbitrage, art. préc., p. 869.
[70] E. Loquin, J.-Cl. Procédure civile, fasc. 1036, op. cit., n° 19.
[71] L. Weiller, art. préc., p. 869.
[72] Article 9.6 IBA Rules.
[73] Cass. 1re civ. 6 mai 2009, n° 08-10.281, Bull. civ. I, n° 86.
[74] E. Kleiman et S. Saleh, art. préc., n° 82 et s.
[75] Article 1520 CPC, recours en annulation ; article 1525, alinéa 4, CPC, appel de l’ordonnance d’exequatur.
[76] V. P. Mayer, Recommandation de l’association de droit international sur le recours à l’ordre public en tant que motif de refus de reconnaissance ou d’exécution des sentences arbitrales internationales, Rev. arb. 2002. 1061.
[77] E. Kleiman et S. Saleh, art. préc., n° 84.
[78] CA Paris, 1er avr. 2010, Sté Chantiers de l’Atlantique SA, n° 09/7068, Cah. arb. 2012/ 3. 647, note L.-Ch. Delanoy.
[79] CA Paris, 1er juill. 2010, Thalès, Cah. arb. 2010/2. 525 ; Cah. arb. 2010/4. 1023, obs. D. Hascher et B. Castellane ; Rev. arb. 2010. 669 ; Gaz. Pal. 25-27.7.2010, note D. Bensaude ; D. 2010. 2942, obs. Th. Clay ; LPA, 22 févr. 2011, p. 8, note M.-E. Boursier ; Cah. arb. 2011/3. 741, note L.-Ch. Delanoy.
[80] Cette hypothèse est donc très strictement définie puisqu’elle se rapproche des cas d’ouverture à révision prévus par l’article 595 CPC ; V. à cet égard, L.-Ch. Delanoy, note préc., sous CA Paris, 1er avr. 2010.
Source : Actualités du droit