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Région ou institut public, sur qui reposent les coûts de formation continue des professionnels de santé ?

Public - Droit public général, Santé
11/10/2019
Il appartient aux régions de subventionner les écoles et instituts de formation de certaines professions de santé. Mais, sur qui repose les coûts liés à l’activité de formation continue ? 
La région d'Ile-de-France verse une subvention de 21 900 000 euros à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Or, estimant qu’elle a commis une erreur de calcul dans le versement de la subvention, la région demande son remboursement. Elle émet un titre exécutoire à l’encontre de l’AP-HP afin que la somme lui soit restituée.

Le tribunal administratif de Paris décharge le débiteur de la somme de 6 698 121 euros. Selon son raisonnement, cette somme correspond aux coûts liés à la formation continue du personnel de santé qui est à la charge de la région. Le reste de la somme, soit 15 201 879 euros, doit cependant être remboursé.

La région estime que l’AP-HP doit lui remettre l’entièreté de la somme. L’AP-HP argue, au contraire, qu’elle doit être déchargée de sa totalité. La cour administrative d'appel de Paris rejette toutes les demandes. La région forme un pourvoi devant le Conseil d’État pour annuler la décharge accordée et, par un pourvoi incident, l’AP-HP demande une décharge complète de son obligation de payer.

Le Conseil d’État se prononce sur les deux pourvois.

Sur qui repose la prise en charge du coût de la formation ? 
La région affirme que l’AP-HP lui est redevable de l’entièreté de la somme. Elle soutient ainsi que la décharge de 6 698 121 euros au titre des coûts de la formation continue du personnel hospitalier n’aurait pas dû être accordée.

Le Conseil d’État devait par conséquent préciser, ensuite, sur quelle entité reposaient les coûts liés à la formation continue du personnel de santé.

Pour répondre, la juridiction administrative se fonde sur plusieurs articles du Code de la santé publique :
  • l’article L. 4383-5 mettant à la charge de la région le fonctionnement et l’équipement des écoles et instituts publiques,
  • l’article L. 4383-3 définissant ces écoles et instituts de formation dans le domaine médical,
  • et les articles L. 4151-9 et L. 4244-1 relatifs aux écoles de sages-femmes et des préparateurs en pharmacie.

L’arrêt mentionne ensuite la partie règlementaire du Code de la santé publique, soient les articles R. 6145-56, R. 6145-57 et R. 6145-59 détaillant le contenu et le régime des subventions de fonctionnement dues par la région. Il est enfin fait mention de l’article 3 de l'arrêté du 31 juillet 2009 relatif aux organismes de formations médicales qui détaille les missions de formation de ces instituts.

Selon le Conseil d’État, il résulte de tous ces articles que « le législateur a mis à la charge des régions le fonctionnement et l'équipement des écoles et instituts de formation de certaines professions de santé, sans en exclure l'activité de formation continue incombant légalement à ces écoles et instituts, y compris lorsque cette activité bénéficie aux agents des établissements publics de santé auxquels ces écoles et instituts sont rattachés ».

Par la suite, il détaille longuement le contenu et le montant des subventions dues : « cette prise en charge est assurée par le versement par la région à ces établissements publics de santé d'une subvention d'équilibre calculée par différence entre la totalité des charges d'exploitation et des recettes d'exploitation, autres que la subvention, inscrites au compte de résultat prévisionnel annexe des écoles et instituts concernés. Il en résulte également que ces recettes d'exploitation incluent, notamment, les produits issus de la facturation à ces établissements publics de santé des frais des formations dispensées à leurs agents par les écoles et instituts qui leurs sont rattachés. Les frais ainsi facturés à ces établissements entrent dans les dépenses de formation initiale et continue auxquelles, en vertu de l'article 10 du décret du 21 août 2008 relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie des agents de la fonction publique hospitalière, ces établissements sont tenus de consacrer un montant d'au moins 2,1 % de leur masse salariale. Enfin, en vertu des dispositions précitées de l'article R. 6145-59 du même Code, le montant de cette subvention est arrêté par le président du conseil régional après instruction de la demande de subvention adressée par le directeur de l'établissement public de santé gestionnaire, qui doit être accompagnée, en particulier, des prévisions d'activités et des propositions de tarifs servant de base à la facturation des formations, y compris celles destinées à ses agents ».

Il ressort de ces constatations que « le calcul de la subvention d'équilibre doit prendre en compte l'intégralité des charges de fonctionnement de ces écoles et instituts, sans en exclure celles imputables à leur activité de formation continue, y compris au bénéfice des agents des établissements publics de santé auxquels ils sont rattachés ».

Comme l’avaient interprété les juges du fond, les coûts liés à l’activité de formation continue reposent donc bien sur la région. La décharge de 6 698 121 euros est justifiée, le pourvoi de la région d'Ile-de-France est rejeté.
 
L'AP-HP doit-elle rembourser la subvention ? 
Quant au pourvoi incident de l’AP-HP, il soutient que l’établissement devrait être déchargé de l’entièreté de la somme réclamée soit 21 900 000 euros.

L’AP-HP invoque deux arguments au soutien de son pourvoi incident.

Une nouvelle fois, le Conseil d’État se réfère aux articles réglementaires R. 6145-56, R. 6145-57 et R. 6145-59 du Code de la santé publique détaillant le contenu et le régime de la subvention d’équilibre annuelle due par la région aux établissements publics de santé au titre des écoles et instituts de formation qui lui sont rattachés. Il est en outre fait mention des articles R. 6145-49 à R. 6145-51 du même Code disposant en substance que si l'exécution du budget annexe de ces écoles et instituts dégage un résultat différent du résultat prévisionnel, l'excédent ou le déficit constaté est affecté à un compte de report à nouveau ou à un compte de réserve, dont il est tenu compte pour déterminer le montant de la subvention de l'exercice suivant.

Comme premier argument, l’AP-HP se réfère à la prescription quadriennale applicable aux réclamations des créances sur les établissements publics. L’institut invoque l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics instituant une prescription de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis pour la réclamation des créances non payées.

Or, le Conseil d’État se réfère à l’article 3 de la loi du 31 décembre 1968 disposant en substance que la prescription ne court pas à l’encontre du créancier ne pouvant agir en raison d’un cas de force majeure ou de son ignorance légitime de l’existence de sa créance.

En l’espèce, les juges du fond ont souverainement apprécié que « la région d'Ile-de-France pouvait être légitimement regardée comme ignorant l'existence de sa créance susceptible de découler des différentes anomalies affectant la détermination des charges prises en compte pour le calcul des subventions qu'elle a attribuées à l'AP-HP au titre des années 2007, 2008 et 2009 telles que ces anomalies sont présentées par l'audit mené en 2011 sur les comptes de résultat des écoles et instituts de formation rattachés à cet établissement public de santé, avant l'approbation des comptes annuels de chacune de ces trois années, intervenue respectivement en 2008, 2009 et 2010 ». Le délai de prescription ne pouvait donc pas être acquis.

De surcroît, l’article 2 de la loi du 31 décembre 1968 détaille les évènements interruptifs de prescription. « Toute communication écrite d'une administration intéressée » interrompt ainsi le délai de prescription qui repart pour quatre ans.

En l’espèce, les juges relèvent que « par lettre du 25 novembre 2011 au directeur général des services de la région d'Ile-de-France, la directrice générale de l'AP-HP avait contesté tant l'évaluation des charges et des produits retenus par la collectivité territoriale pour fonder sa demande de restitution d'une partie des subventions versées au titre des années 2007 à 2009 que le principe même de cette restitution ». Comme l’affirmait la cour d’appel, cette lettre constitue bien une communication écrite d’une administration intéressée au sens de l’article 2 de la loi du 31 décembre 1968. La prescription a donc été interrompue le 25 novembre 2011. Elle n’était pas acquise au 31 mai 2013, date du titre exécutoire. 

Ainsi, « le délai de prescription ne pouvait courir qu'à compter du 1er janvier de l'année suivant celle de l'approbation des comptes annuels, soit le 1er janvier 2009 pour la subvention versée au titre de l'année 2007, le 1er janvier 2010 pour celle versée au titre de l'année 2008 et le 1er janvier 2011 pour celle versée au titre de l'année 2009 et (…) ce délai, interrompu pour la subvention versée au titre de l'année 2007 avant son échéance le 31 décembre 2012 par la lettre du 25 novembre 2011 de la directrice générale de l'AP-HP et qui courait jusqu'au 31 décembre 2013 pour l'année 2008 et jusqu'au 31 décembre 2014 pour l'année 2009, n'était pas expiré à la date d'émission du titre exécutoire de la région d'Ile-de-France, le 31 mai 2013 ». L’argument tiré de la prescription est donc rejeté.

Par ailleurs, au soutien de son pourvoi, l'AP-HP invoque à son profit la théorie des droits acquis.

Néanmoins, pour le Conseil État, « l'attribution d'une subvention par une personne publique crée des droits au profit de son bénéficiaire. Toutefois, de tels droits ne sont ainsi créés que dans la mesure où le bénéficiaire de la subvention respecte les conditions mises à son octroi, que ces conditions découlent des normes qui la régissent, qu'elles aient été fixées par la personne publique dans sa décision d'octroi, qu'elles aient fait l'objet d'une convention signée avec le bénéficiaire ou, encore, qu'elles découlent implicitement mais nécessairement de l'objet même de la subvention ».

Ceci explique que « la cour n'a pas commis d'erreur de droit en déduisant de ces principes que l'attribution par la région d'Ile-de-France de la subvention annuelle qui lui incombait au titre de la prise en charge du fonctionnement et de l'équipement des écoles et instituts de formation de l'AP-HP n'avait créé de droits acquis au profit de celle-ci que dans la mesure où avaient été respectées les conditions d'attribution de cette subvention. En jugeant que tel n'était pas le cas pour les dépenses dont le remboursement était contesté par l'AP-HP, hors dépenses liées à la formation continue de ses agents, dont la cour a rappelé la teneur telle qu'elle était détaillée par le rapport d'audit du 31 juillet 2012, au motif que ces dépenses résultaient d'erreurs méthodologiques dans la détermination ou la ventilation de charges directes ou indirectes imputées par l'AP-HP à ces écoles et instituts de formation et étaient par conséquent étrangères à l'activité de ces écoles et instituts, la cour a porté sur les faits de l'espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation ».

Le moyen relatif aux droits acquis n’est donc pas entendu par la juridiction administrative. À l’instar du pourvoi principal, le pourvoi incident est rejeté.

En résumé, si les coûts de formation continue reposaient bien sur la région, le reliquat de la somme versée par erreur doit être remboursé. L’AP-HP doit donc restituer à la région la somme de 15 201 879 euros. 
Source : Actualités du droit