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Droit des étrangers : le silence du JLD ne vaut pas décision implicite

Civil - Personnes et famille/patrimoine
23/10/2019
La Cour de cassation s’est prononcée sur la portée de l’absence de décision du juge des libertés et de la détention dans un litige en droit des étrangers. Elle en profite pour rappeler l’inapplicabilité de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Un étranger en situation irrégulière sur le territoire français est placé en rétention administrative. Il saisit le juge des libertés et de la détention pour contester la décision de placement en rétention en vertu de la procédure détaillée à l’article L. 552-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Le lendemain, à la suite du silence du magistrat, l’étranger forme appel contre la « décision implicite de rejet » de sa requête.

Considérant que le silence du juge ne peut être assimilé à une décision implicite de rejet dont l’appel serait possible, les juges du fond déclarent l’appel irrecevable.

Toutefois, pour le requérant, le juge des libertés et de la détention n’a pas statué sur sa demande dans le délai de 24 heures prévu par l'article L. 552-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, entraînant son maintien en rétention au-delà du délai légal. Il considère que l’absence de décision constitue une décision implicite de rejet et que l’affirmation inverse de la cour d’appel aurait dû être expliquée.

La décision contreviendrait notamment pour cela à l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Enfin, il souligne que le fait de déclarer son appel irrecevable en raison de l’absence d’une décision à contester ne respecte pas le droit à un recours effectif impliquant le droit de faire examiner le bien-fondé de sa demande conformément à l’article 6§1 précédent.

La Cour de cassation répond en deux temps.

L’applicabilité de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Les magistrats soutiennent que « les litiges concernant l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». Les moyens fondés sur le texte européen ne sont donc pas examinés.

En effet, si l’article 1re de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que les droits et libertés de la Convention sont reconnus « à toute personne relevant (des) juridiction(s) » des États membres, les étrangers étaient traditionnellement exclus de la convention. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme a progressivement étendu certaines protections aux étrangers, comme l’article 3 prohibant la torture et les traitements inhumains et dégradants ou l’article 8 relatif à la vie privée, pour atténuer les conséquences dommageables des mesures d’éloignement  (Les étrangers et la Convention européenne des droits de l'Homme : une protection limitée et contrastée, Didier Rouget ).

Toutefois, à l’instar de la Cour de cassation, la jurisprudence de la Cour européenne n’applique pas les garanties offertes par l’article 6 du célèbre texte européen aux litiges concernant l’entée, le séjour et l’éloignement des étrangers. La solution d’espèce s’inscrit donc dans une tradition prétorienne bien établie.

L'absence de décision du juge des libertés et de la détention. La Haute juridiction considère qu’en « l’absence de décision du juge des libertés et de la détention au terme du délai de vingt-quatre heures prévu à l’article L. 552-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ne peut être assimilée à une décision implicite de rejet de la requête en contestation de l’arrêté de placement en rétention ».

L’arrêt d’appel est validé, le pourvoi est rejeté. Le silence du juge des libertés et de la détention ne peut donc être assimilé à une décision implicite de rejet, décision qui pourrait fonder un appel.

Le contentieux des étrangers diffère en cela du principe de droit administratif selon lequel le silence vaut décision implicite -d’accord- (Code des relations entre le public et l'administration, art L. 112-6).
Source : Actualités du droit