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Ajustement des prix de transfert post importation : anticiper avec les meilleures pratiques d’ICC France pour la valeur en douane

Transport - Douane
07/12/2022
À propos de la gestion douanière des ajustements des prix de transfert post importation, et à défaut d’une réglementation dédiée qu’ils appellent de leurs vœux, Maitres Jean-Marie Salva et Arnaud Fendler du Cabinet DS Avocats alertent sur la nécessité pour les opérateurs internationaux d’anticiper ces problématiques : ils soulignent donc l’utilité des recommandations/meilleures pratiques présentées dans un rapport diffusé avant l’été par le comité français de la Chambre de Commerce Internationale (CCI), pour une meilleure maîtrise des problématiques liées à l’utilisation de prix de transfert au regard de la valeur en douane.
Absence d’harmonisation dans l’UE
 
Si le recours aux prix de transfert avec ajustements post importation est une « pratique répandue » chez les opérateurs, selon Maître Jean-Marie Salva, les conséquences douanières de ces ajustements post importation ne sont pas toujours bien maitrisées, ne font pas l’objet d’un véritable cadre juridique international et sont donc laissées à l’appréciation des pays. Au niveau européen non plus, il n’existe pas d’harmonisation en la matière. ICC France a donc un double objectif sur ce sujet des prix de transfert et de valeur en douane, qui est le quotidien des entreprises multinationales :
  • d’une part, informer et « éduquer » les opérateurs avec les meilleurs pratiques exposées en fin de cette actualité ;
  • d’autre part, pousser le législateur européen à faire évoluer la réglementation de l’UE ensuite de la jurisprudence Hamamatsu ci-dessous.
 
Remarques
Il n’est pas du tout évident que le projet de modification du CDU qui devrait être présenté en décembre 2022 contienne des dispositions sur le sujet des prix de transfert, pas plus que sur le renseignement contraignant sur la valeur, ou RCV (dont on ne sait si le projet annoncé pour 2025 inclura dans son champ d’application les aspects douaniers du prix de transfert), le sujet étant lié intimement à l’avis sur la valeur, outil qui, s’il existe dans certains pays, ne fait pas encore l’objet d’une réglementation dans l’UE.
 
Contexte jurisprudentiel : une limitation critiquable
 
Le sujet est lié à l’arrêt Hamamatsu de 2017 par lequel la CJUE avait opéré en quelque sorte un « jugement de Salomon », selon Maître Salva, en ne refusant pas le principe des ajustements de prix de transfert post importation, mais en les limitant aux cas où le mouvement à la hausse ou à la baisse du prix peut être anticipé au moment du dédouanement, écartant donc ceux qui ne peuvent pas être anticipés. Pour justifier cette exclusion, l’arrêt de la CJUE retient en effet que le Code des douanes communautaire, le CDC alors applicable, ne contient aucune disposition permettant aux autorités douanières de se prémunir du risque que des opérateurs ne solliciteront que des ajustements à la baisse (CJUE, 20 déc. 2017, n° C-529/16, Hamamatsu Photonics Deutschland GmbH c/ Hauptzollamt München ; voir Valeur transactionnelle écartée, Actualités du droit, 8 janv. 2018).
 
Rendu à la suite de la décision précitée, un arrêt de la cour fédérale fiscale allemande du 17 mai 2022, publié en septembre dernier, reprend dans la même affaire les principes de la CJUE, et confirmant que le principe dégagé s’étendait à toutes les méthodes d’évaluation en douane, et pas uniquement celle de la valeur transactionnelle. Pour Maître Arnaud Fendler, les réactions suscitées par l’arrêt Hamamatsu de 2017 ont permis de « révéler au plus grand jour la pratique variable par les États membres » s’agissant de la gestion douanière des prix de transfert (au travers des articles 70 et suivants du CDU relatifs à la valeur en douane) et si la Douane française s’est saisie du sujet sur une page de son site, le mécanisme mis en place n’est qu’imparfait puisque la DGGDI n’apporte pas de cadre juridique régissant clairement les conséquences douanières des ajustements non prévus ou ne pouvant être anticipés. Cette administration suit en effet l’arrêt précité de la CJUE en offrant un cadre de gestion douanière des ajustements seulement lorsqu’ils sont « anticipables ». Or, par exemple avec la récente crise du Covid, les prix de transport ou encore ceux de certaines matières premières ont connu de fortes variations à la hausse (qui n’étaient pas prévues, donc non anticipées) qui ont été gérées hors de tout cadre, et donc sans aucune sécurité juridique. Et même si les ajustements sont « anticipables », ajoute cet avocat, la disparité de traitement entre les États membres ajoute une seconde difficulté (si certains États, comme la France, offrent un cadre pour traiter du sujet, d’autres comme l’Allemagne ou l’Italie offrent moins de garanties), ce qui ne permet pas au sein des groupes internationaux de concevoir une politique de gestion européenne commune des ajustements de prix de transfert aux fins de valeur en douane. Ce sujet reste d’actualité, comme en témoignent les récentes lignes directrices britanniques publiées par HMRC, et qui modifient, dans un sens moins favorable aux opérateurs, le cadre en vigueur au Royaume-Uni.
 
Défaut de cadre réglementaire : la solution des « best practices » d’ICC France
 
L’absence de disposition spécifique dans le CDU et de lignes directrices sur la gestion douanière des prix de transfert (ni les lignes directrices de la Commission, ni le Compendium Valeur de l’UE ne commentent ce sujet) pose bien sûr le problème de leur interprétation harmonisée et justifie l’initiative de l’étude/consultation d’ICC France et son extension au niveau mondial. Arnaud Fendler revient sur la genèse du rapport d’étude « Évaluation en douane : impact des ajustements des prix de transfert sur la valeur en douane » d’ICC France, qu’il a co-rédigé avec Analisa Pancrate (Loréal). Ce document fait suite aux recommandations d’ICC émises en 2015 pour une meilleure gestion des prix de transfert aux fins de valeur en douane, mais découle aussi du constat d’une disparité de traitement du sujet par les États et selon les différents secteurs industriels, ce qui, sous ces deux angles, induit un manque réel de sécurité juridique. La commission douane d’ICC France a donc élaboré un rapport sur le sujet en 2022 (en consultant des secteurs variés comme le ferroviaire ou les cosmétiques) afin de proposer des pistes pour anticiper les difficultés et éviter les risques de redressement par la Douane liés à ces ajustements rétroactifs (post importation) de prix de transferts. Les membres de la commission douane d’ICC France ont identifié une trentaine de pays cibles, créateurs de difficultés. Un questionnaire contenant environ 35 items sur les difficultés et les risques, diffusé au sein du réseau ICC, a permis d’obtenir des réponses pertinentes pour la quasi-totalité des pays ciblés, et la rédaction de ce rapport.
 
Les 6 meilleures pratiques retenues par le rapport, qu’il faut lire dans le détail, sont listées très synthétiquement ci-après :
  • Identifier l’existence ou non de régime juridique applicable au traitement douanier des ajustements rétroactifs de prix de transfert dans les pays d’activité ;
  • Inclure systématiquement le facteur valeur en douane lors de la détermination de la politique de prix de transfert et s’assurer que les « équipes prix de transfert » sont averties des difficultés et risques douaniers ;
  • Obtenir un avis sur la valeur en douane (s’il en existe) ou une autorisation expresse des autorités compétentes ;
  • Prévoir une méthodologie d’allocation des ajustements de prix de transfert dans la valeur des produits importés, en coordination avec son RDE ;
  • Préparer la documentation adéquate pour justifier la rectification de valeur en douane ensuite des ajustements rétroactifs de prix de transfert ;
  • Renoncer, hors le cas d’une autorisation expresse des autorités compétentes, à toute pratique consistant à réaliser des ajustements prospectifs.
Source : Actualités du droit