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Irrecevabilité manifeste d’une requête contre une décision qui n’est pas encore née

Public - Droit public général
16/01/2024
Une requête déposée à la suite d’une demande faite à l’Administration, à laquelle cette dernière n’a pas répondu et qui n'a pas donné lieu à une décision implicite, est manifestement irrecevable. La régularisation de la requête ne pouvant résulter que de l’intervention d’une décision, le juge est fondé à rejeter les conclusions par ordonnance sans obligation d’inviter le requérant à les régulariser, a déclaré le Conseil d’État dans un arrêt rendu le 20 décembre 2023.
Dans un arrêt rendu le 20 décembre 2023 (CE, 20 déc. 2023, n° 463151, Lebon T.), le Conseil d’État a déclaré que des conclusions dirigées contre une décision qui n’était pas encore née étaient irrecevables. Le juge est fondé à les rejeter pour irrecevabilité manifeste par ordonnance sans inviter le requérant à les régulariser, puisque cette régularisation ne peut résulter que de l’intervention d’une décision à contester.
 
Un maire a décidé de mettre en œuvre un système de vidéosurveillance sur le territoire de la commune, comprenant un traitement de données à caractère personnel. Une association et un particulier ont demandé l’abrogation de la décision par une lettre reçue en mairie le 13 août 2021. Les requérants ont ensuite saisi le tribunal administratif (TA) d’une demande d’annulation de la décision de refus d’abrogation le 3 septembre 2021. Le TA a rejeté la demande par ordonnance pour irrecevabilité manifeste, jugeant « qu’il n’existait pas à la date de son ordonnance, de décision administrative que les demandeurs auraient été recevables à contester ». En effet, à la date de la saisine du TA, le maire n’avait pas répondu à la demande d’abrogation de la décision, et aucune décision implicite de rejet n’était née. Après un rejet de l’appel formé contre cette ordonnance, les requérants saisissent le Conseil d’État.
 
Dispositions applicables :
CJA, art. R. 222-1 : « Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, (...) les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours (...) peuvent, par ordonnance : / (...) Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser ou qu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce sens (...) ».
CJA, art. R. 421-1, al. 1er : « La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ».
CJA, art. R. 612-1, al 1er : « Lorsque des conclusions sont entachées d'une irrecevabilité susceptible d'être couverte après l'expiration du délai de recours, la juridiction ne peut les rejeter en relevant d'office cette irrecevabilité qu'après avoir invité leur auteur à les régulariser ».

Le Conseil d’État annonce dans sa décision du 20 décembre 2023 qu’il résulte des ces disposition que lorsque le requérant saisit le juge avant que l’administration n’ait répondu à sa demande, « ses conclusions, dirigées contre une décision qui n'est pas encore née, sont irrecevables ».

Toutefois, se posait la question de l’obligation pour le juge d’inviter le requérant à régulariser sa requête ou de la possibilité de la rejeter pour illégalité manifeste. Dans le cas d’une requête faisant suite à une demande à l’administration à laquelle cette dernière n’a pas répondu, le Conseil rappelle que la régularisation ne peut résulter que de l’intervention d’une décision de l’administration. Ainsi, le juge ne peut inviter le requérant à régulariser sa requête et peut rejeter les conclusions par ordonnance.
 
La Haute juridiction déclare : « Si cette irrecevabilité peut être couverte, en cours d'instance, par l'intervention d'une décision expresse ou implicite, il est loisible au juge, tant qu'aucune décision n'a été prise par l'administration, de rejeter pour ce motif les conclusions dont il est saisi. Une telle irrecevabilité étant manifeste et le juge ne pouvant inviter le requérant à la régulariser, puisqu'une telle régularisation ne peut résulter que de l'intervention ultérieure d'une décision expresse ou implicite, les conclusions qui en sont entachées peuvent être rejetées par ordonnance sur le fondement du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative ».

En l’espèce, la CAA n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que le TA n’était pas tenu d’attendre l’intervention d’une décision avant de statuer ni d’inviter les requérants à régulariser la requête, et qu’ainsi, il pouvait la rejeter par ordonnance. De plus, le Conseil déclare que le rejet ne méconnaît pas le droit au recours tel que protégé par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, « le rejet d'une requête prématurée ne faisant aucunement obstacle à une nouvelle saisine du juge dans l'hypothèse où interviendrait ultérieurement une décision administrative implicite ou explicite ».
Source : Actualités du droit