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La sanction pénale du dirigeant social en droit OHADA : que reste-t-il de l’idéal d’intégration juridique ?

Afrique - Ohada
04/07/2017
Alors que généralement le législateur détermine dans le même texte pénal l’incrimination et la sanction encourue, l'OHADA a effectué un choix différent. Si l’OHADA en tant qu’organisation d’intégration juridique des États membres, a fait le choix de l’uniformisation des lois, elle a, en revanche, préféré pour ce qui est de la légalité criminelle, laisser la main aux États.
En droit OHADA, les dirigeants sociaux peuvent encourir des sanctions pénales. La sanction constitue avec l’incrimination, les deux composantes de l’élément légal de l’infraction. Habituellement, le législateur détermine dans le même texte pénal l’incrimination et la sanction encourue. Cette détermination complète de la légalité criminelle dans le même texte, dans un contexte d’intégration juridique de différents États, permet d’appliquer dans l’espace intégré à la même incrimination la même sanction, ce qui est gage d’uniformité. Quelques organisations africaines d’uniformisation des aspects particuliers du droit des affaires ont adopté cette pratique (notamment, la Conférence interafricaine des marchés d’assurance (CIMA), v. Code CIMA, et l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI), voir les annexes de l’Accord de Bangui portant création de l’OAPI).
L’OHADA en tant qu’organisation d’intégration juridique des États membres, a aussi fait le choix de l’uniformisation des lois. Mais elle a préféré pour ce qui est de la légalité criminelle, la pratique de l’éclatement des éléments de celle-ci. Ainsi, les Actes uniforme déterminent l’incrimination alors que les législations nationales fixent la sanction. Ce qui peut constituer un frein à l’idéal d’intégration. En réalité, cet éclatement engendre à la fois un risque d’impunité et une punissabilité variable dans l’espace intégré.

Un risque d’impunité dans l’espace intégré
Le risque d’impunité dans certains États membres de l’OHADA est réel. Il est né de la technique de renvoi législatif comme mode de détermination de la sanction pénale applicable et est renforcé par les dispositions de l’article 10 du Traité OHADA.

Une impunité née de la technique du renvoi législatif.- L’article 5, alinéa 2, du Traité OHADA dispose que « Les actes uniformes peuvent inclure des dispositions d’incrimination pénale. Les États parties s’engagent à déterminer les sanctions pénales encourues ». En application de ce texte, des incriminations pénales ont été intégrées dans les Actes uniformes révisés. C’est également en application de ce texte que neuf États sur les dix-sept qui composent l’OHADA ont adopté des textes nationaux qui fixent les sanctions pénales applicables aux incriminations communautaires. Dans les huit autres, les dispositions pénales des Actes uniformes révisés ne sont pas applicables parce qu’inachevées au regard du principe de la légalité criminelle. Il manque à l’infraction un élément de sa légalité : la sanction. Le juge ne peut se substituer au législateur défaillant pour créer cet élément. Ces huit États constituent dans l’espace OHADA des ilots d’impunité pour les dirigeants sociaux. Cette existence d’un droit pénal à deux vitesses dans le même espace communautaire contredit l’intégration juridique recherchée.
L’argument tiré de l’article 10 du Traité OHADA renforce cette impunité.

Une impunité renforcée par l’application de l’article 10 du Traité OHADA.- Dans les États récalcitrants, les textes pénaux internes anciens sont convoqués pour éviter l’impunité. Ainsi, les dirigeants sociaux qui ont commis les infractions prévues par les Actes uniformes sont condamnés en application des textes internes qui répriment les mêmes agissements même sous une qualification différente. Or, l’article 10 du Traité OHADA dispose que « Les actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les États parties, nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure ». Les Actes uniformes ci-dessus visés abrogent toutes dispositions pénales internes relatives aux infractions concernant les mêmes faits. Le palliatif qui consiste à recourir au texte interne au motif que le dispositif pénal OHADA est incomplet est contraire à l’article 10 du Traité.
Cette impunité entretenue par les États récalcitrants est une négation de l’idéal d’intégration juridique au même titre que la punissabilité variable instaurée par les États vertueux.

Une punissabilité variable dans l’espace intégré

Une variation des sanctions d’un État à un autre.- Les quanta de sanctions varient d’un État à autre ou même à l’intérieur d’un même État. Chaque État a la compétence de compléter les incriminations communautaires par les sanctions qu’il fixe souverainement. À l’évidence, ceux-ci différent d’un État à un autre. Quand on sait que les quanta des sanctions contribuent à la détermination de la nature des infractions et les stratifient en contraventions, délits et crimes, il devient possible que la même incrimination communautaire soit punie des peines criminelles dans un État et des peines délictuelles dans un autre. Plus, d’un pays à un autre, la méthode d’intégration nationale de la norme pénale commune n’est pas la même. Certains fixent la sanction et renvoient pour le reste à la norme communautaire d’incrimination (Sénégal), d’autres recopient entièrement l’incrimination communautaire avant de la compléter par la sanction (Cameroun, Bénin). À cette diversité, s’ajoute la variation d’un État à un autre des quanta des peines applicables. Par exemple, l’abus des biens de la société (faits incriminés par l’article 891 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, AUSCGIE) est puni au Bénin d’une peine de réclusion criminelle à temps de cinq ans à dix ans et une amende de cinq millions à vingt-cinq millions de francs (L. n° 2001-20,12 oct. 2011, art. 64, portant lute contre la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin), alors qu’au Sénégal il est puni d’une peine d’emprisonnement de un an à cinq ans et d’une amende de cent mille à cinq millions de francs (L. n° 98-22, 26 mars 1998, art. 6, portant sur les sanctions pénales applicables aux infractions contenues dans l’acte uniforme relatif aux droits des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique). Cette variation est également observable à l’intérieur d’un même pays.

Une variation des sanctions à l’intérieur d’un même État.- Au Cameroun, les dirigeants sociaux fautifs sont passibles des peines prévues par la loi relative à la répression des infractions contenues dans certains actes uniformes (L. n° 2003-08,10 juill. 2003) Mais, lorsqu’il s’agit du dirigeant d’une entreprise publique, c’est la loi sur les entreprises publiques et parapubliques (L. n° 99-016, 22 déc. 1999) qui s’appliquent et cette loi renvoie aux peines plus lourdes prévues par le Code pénal sur le détournement des derniers publics.
Source : Actualités du droit