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L’indépendance et l’impartialité de l’arbitre : la position regrettable de la CCJA

Afrique - Ohada
09/11/2017
L’interpellation formelle du tribunal arbitral sur la nature des liens de collaboration qu’un arbitre désigné par le demandeur à la procédure arbitrale, avait avec le conseil dudit demandeur n’a reçu aucune réponse permettant d’apprécier l’incidence de ces liens non révélés sur son indépendance et son impartialité. L'analyse de Bréhima KAMÉNA, agrégé des facultés de droit, Université des sciences juridiques et politiques de Bamako (USJPB), Directeur du Groupe derecherches appliquées antenne Lascaux (GRAAL).
Dans cette affaire, le requérant reprochait à l’arrêt de la cour d’appel du Littoral à Douala d’avoir considéré que la non-révélation par l’un des arbitres de ses liens avec le conseil de la partie demanderesse est un dol procédural de nature à remettre en cause non seulement son indépendance, mais aussi la sentence à venir alors que, selon le moyen, la révélation mise à la charge de l’arbitre par l’article 7 de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage (AUA) n’est constitutive d’obligation que si l’arbitre suppose en sa personne une cause de récusation ; qu’il s’agit de rechercher dans ces liens une situation récurrente ou notoire de nature à affecter raisonnablement le jugement de l’arbitre, en faisant apparaître un risque certain à l’égard d’une partie à l’arbitrage ; qu’en l’espèce, selon le moyen, la cour d’appel n’a pas caractérisé en quoi le fait prétendument non révélé par l’un des arbitres portait atteinte à son indépendance.
 
Le problème juridique soulevé par cette affaire est le suivant : dans quelle mesure le défaut de réponse à l’interpellation formelle du tribunal arbitral sur la nature des liens de collaboration d’un arbitre peut-il remettre en cause l’indépendance de cet arbitre et avoir pour conséquence l’annulation de la sentence arbitrale ?
 
Après avoir rappelé que « le tribunal arbitral n’est régulier que s’il est composé d’arbitres indépendants et impartiaux et si la procédure de sa constitution est exempte de tout vice », et constaté, à la suite de la cour d’appel, que l’interpellation formelle du tribunal arbitral sur la nature des liens de collaboration d’un arbitre n’avait reçu aucune réponse permettant d’apprécier l’incidence de ces liens non révélés sur son indépendance et son impartialité, la CCJA rejeta le moyen comme étant non fondé. Elle approuve alors la cour d’appel d’avoir décidé qu’ : « il est de jurisprudence que l’arbitre doit révéler toute circonstance de nature à affecter son jugement et à provoquer dans l’esprit des parties un doute raisonnable sur ses qualités d’impartialité et d’indépendance qui sont l’essence même de la fonction arbitrale ».

L’article 6, alinéa 2, de l’AUA consacre le devoir d’indépendance et d’impartialité de l’arbitre. Il est complété par l’article 7, alinéa 2, du même acte uniforme qui dispose : « Si l’arbitre suppose en sa personne une cause de récusation, il doit en informer les parties, et ne peut accepter sa mission qu’avec leur accord unanime et écrit. ». Cette disposition qui consacre l’obligation de révélation ou de transparence de l’arbitre est celle applicable dans l’arrêt commenté. Quant à l’article 26, il énumère les cas dans lesquels le recours en annulation de la sentence arbitrale est recevable, spécialement « lorsque le tribunal arbitral a été irrégulièrement composé ou l’arbitre unique irrégulièrement désigné ».
 
Pour la CCJA, seule compte la révélation par l’arbitre d’un fait ou d’une circonstance susceptible de provoquer « un doute raisonnable sur ses qualités d’impartialité et d’indépendance » dans l’esprit de l’une des parties à l’arbitrage. Selon elle, c’est aux parties qu’il revient d’apprécier le ou les faits révélés par l’arbitre et d’exercer, le cas échéant, leur droit à récusation. Elle sanctionne alors le défaut de réponse à l’interpellation formelle du tribunal arbitral sur la nature des liens de collaboration d’un arbitre par la nullité de la sentence arbitrale.
 
C’est la première fois, à notre connaissance, que la CCJA a eu l’occasion de se prononcer sur l’obligation de révélation de l’arbitre.
 
La solution de la CCJA est proche de celle adoptée par la Cour de cassation française dans un arrêt du 1er février 2012 (Cass. 1re civ., 1er fév. 2012, n° 11-11.084, Bull. civ. I, n° 2). Dans cette affaire, la cour d’appel de Bordeaux avait rejeté le recours en annulation d’une sentence arbitrale au motif que la circonstance, à la supposer établie, que le président du tribunal arbitral ait été appelé à défendre les intérêts d’une société tierce dans diverses instances judiciaires ne pouvait permettre de retenir à son encontre un manquement à l'impartialité, dès lors que cette société n'était ni partie au litige ni en opposition d'intérêts avec l’une des parties, de sorte que la composition du tribunal arbitral était régulière. Cependant, au visa de l'article 1484, 2° du Code de procédure civile dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret du 13 janvier 2011, la Haute juridiction française a cassé l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux en ces termes : « il appartenait à l'arbitre, avant d'accepter sa mission, de révéler toute circonstance susceptible d'être regardée comme affectant son impartialité afin de permettre à la partie d'exercer, à bref délai, s'il y a lieu, son droit de récusation ».
 
Certes, le meilleur moyen de garantir l'observation du devoir de révélation est de divulguer tous les faits et circonstances susceptibles d'impliquer la dépendance ou la partialité de l'arbitre. Certes, dans l’affaire commentée, l’interpellation formelle du tribunal arbitral sur la nature des liens de collaboration qu’un arbitre désigné par le demandeur à la procédure arbitrale, avait avec le conseil dudit demandeur n’a reçu aucune réponse permettant d’apprécier l’incidence de ces liens non révélés sur son indépendance et son impartialité.
 
Cependant, encore faudrait-il que, dans les cas où un arbitre omet de révéler un fait ou une circonstance ou de répondre à une interpellation d’une partie, les juges du fond caractérisent en quoi la circonstance ou le fait non révélé porte atteinte à l’indépendance ou à l’impartialité de l’arbitre.
 
C’est ce dont la CCJA semble dispenser les juges du fond et c’est ce qui est regrettable.
 
En effet, c’est en vain que le requérant avait soutenu que pour conclure à la violation de l’obligation de révélation les juges du fond doivent caractériser en quoi le fait non révélé par l’un des arbitres porte atteinte à son indépendance ou à son impartialité. Selon lui, la non-révélation d’un fait ou d’une circonstance par l’arbitre ne devrait pas en soi suffire à entraîner la nullité de la sentence arbitrale.
 
Pourtant, cette doctrine a été suivie par la Cour de cassation française dans un autre arrêt (Cass. 1re civ., 10 oct. 2012, n° 11-20.299, Bull. civ. I, n° 8).
 
En l’espèce, la Haute juridiction française a censuré un arrêt de la cour d’appel de Paris en ces termes « en se déterminant par ces seuls motifs sans expliquer en quoi ces éléments étaient de nature à provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable quant à l'impartialité de M. X (l’arbitre) et à son indépendance, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur la décision, en violation du texte susvisé ». Par cet arrêt, la Cour de cassation française rappelle qu’elle contrôle les éléments permettant de douter de l’indépendance et de l’impartialité de l'arbitre et qu’elle exige des juges du fond de rechercher en quoi la circonstance ou le fait litigieux est de nature à créer un doute légitime sur l’indépendance, voire l’impartialité de l’arbitre.
Cet arrêt et celui précité du 1er février 2012 ont été rendus sous l’empire de l’ancien article 1452 du Code de procédure civile qui était rédigé dans les mêmes termes que l’article 7, al. 2, de l’AUA précité et qui disposait : « L’arbitre qui suppose en sa personne une cause de récusation doit en informer les parties. En ce cas, il ne peut accepter sa mission qu’avec l’accord de ces parties ».

Désormais, en France, l’article 1456, alinéa 2, du Code de procédure civile, issu du décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011, dispose : « Il appartient à l'arbitre, avant d'accepter sa mission, de révéler toute circonstance susceptible d'affecter son indépendance ou son impartialité. Il lui est également fait obligation de révéler sans délai toute circonstance de même nature qui pourrait naître après l'acceptation de sa mission ».

Comme cette disposition, l’article 11 du Règlement d'arbitrage de la CNUDCI prévoit l’obligation pour l’arbitre de signaler aux parties et aux autres arbitres, à partir de sa nomination et durant toute la procédure arbitrale, « toutes circonstances de nature à soulever des doutes légitimes sur son impartialité ou sur son indépendance ». De la même manière, l’article 11 du règlement d’arbitrage de la CCI impose à l’arbitre de faire connaître à l’institution, à la fois au moment de sa nomination et tout au long de sa mission, « les faits ou circonstances qui pourraient être de nature à mettre en cause son indépendance dans l’esprit des parties, ainsi que les circonstances qui pourraient faire naître des doutes raisonnables quant à son impartialité ».

Néanmoins, les juridictions françaises, en présence d’allégations de manquement à l’obligation de révélation d’un arbitre, continuent à se livrer à une analyse précise de la nature de ces liens et de leur incidence éventuelle sur le litige arbitré (v. par exemple : Cass. 1re civ., 25 juin 2014, n° 11-16.444).
 
Source : Actualités du droit