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Si la fusion de sociétés rattachées à des États différents est considérée comme étant un « mythe quasi inaccessible » (v. Cozian M., Viandier A. et Deboissy F., Droit des sociétés, LexisNexis, 29e éd., 2016, n° 1801), c’est parce que plusieurs obstacles freinent encore sa réalisation. Certains de ces obstacles sont purement juridiques et sont notamment liés au conflit de lois que soulève cette opération de restructuration transfrontalière. L’autre obstacle important est quant à lui lié au traitement fiscal.
Dans l’espace OHADA, si la plupart des obstacles juridiques peuvent être franchis, la réalisation des fusions intracommunautaires demeure entravée par le coût fiscal de l’opération.
Les fusions intracommunautaires a priori favorisées par l’unification du droit applicable
Le premier élément qui pourrait favoriser la réalisation des fusions intracommunautaires dans l’espace OHADA, c’est qu’elles sont expressément autorisées par l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales (AUSGIE, art. 199). Ce dernier n’est donc pas au rang des réglementations qui prohibent clairement les fusions entre sociétés établies dans des États différents.
Par ailleurs, la réalisation des fusions intracommunautaires est juridiquement simplifiée grâce à l’application d’un régime unitaire. En effet l’unification du régime juridique applicable aux sociétés dans l’espace OHADA permet aux fusions intracommunautaires d’échapper au conflit de lois.
L’Acte uniforme étant le régime juridique unifié applicable dans l’État de chaque société participante, il en résulte qu’il régira seul l’ensemble de l’opération. Cela constitue une simplification de la réalisation des fusions intracommunautaires, car l’opération n’appellera pas application de deux lois différentes dont il faudrait déterminer le domaine d’application et coordonner lorsqu’elles se contredisent.
Enfin l’intégration juridique dans l’espace OHADA permet à la fusion intracommunautaire de ne pas être freinée par la question de la reconnaissance des sociétés participantes. En effet, faut-il rappeler que les fusions et les scissions sont des contrats ? Par conséquent, il apparaît que pour pouvoir y participer il faut préalablement, comme toute partie à un contrat, justifier d’une personnalité juridique ou plus précisément d’une personnalité morale puisqu’il s’agit de sociétés. Il faut donc une reconnaissance préalable et mutuelle de la personnalité morale de chaque société participante par les ordres juridiques concernés pour que l’opération puisse être valide.
À titre d’exemple, il faut une reconnaissance préalable de la société absorbante par l’ordre juridique de la société absorbée. Si cet ordre juridique ne reconnaît pas la personnalité morale de la société absorbante elle ne pourra pas admettre la validité du transfert universel du patrimoine effectué à son profit (sur le rôle de la reconnaissance en matière de fusion transfrontalière, v. Sane Cl.-M., La mobilité des sociétés de l’espace OHADA : étude à la lumière du droit européen et international des sociétés, thèse Pau, 2017, n° 84 et s.). Or, dans l’espace OHADA, les dispositions de l’article 199 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales ne laissent pas le choix aux ordres juridiques nationaux des États membres. Ceux-ci ne peuvent donc empêcher la réalisation d’une fusion intracommunautaire en ne reconnaissant pas la personnalité morale d’une société participante.
En raison de la primauté de l’Acte uniforme, aucune disposition nationale des États membres ne pourra servir de fondement à un refus de reconnaissance préalable, nécessaire à la validité d’une fusion intracommunautaire dans l’espace OHADA.
Au regard de ce qui précède nous pouvons donc voir que l’intégration juridique sous l’égide de l’OHADA a permis de lever plusieurs obstacles juridiques à la réalisation des fusions intracommunautaires.
Toutefois cela reste insuffisant tant que les obstacles fiscaux demeurent.
Les fusions intracommunautaires en réalité entravée par l’absence d’harmonisation de la fiscalité applicable
La fiscalité applicable à la fusion intracommunautaire dans les différents États membres de l’OHADA est celle réservée à la cessation d’activité. C’est dire que pour les fiscs des États membres une entreprise absorbée dans le cadre d’une fusion intracommunautaire est une entreprise qui cesse son activité et qui disparaît.
Ce traitement fiscal entraînera pour la société absorbée de multiples impositions difficilement supportables. Nous pensons notamment à celle, très lourde, de la plus-value latente dégagée par l’échange de titres. De même, la société absorbante peut avoir à régler des frais d’augmentation du capital.
Au regard de ce coût fiscal souvent dissuasif, une solution fiscale moins coûteuse s’avère indispensable à la réalisation de la fusion intracommunautaire. Celle-ci consiste à leur appliquer un régime fiscal de faveur comme celui qui existe au profit des fusions purement domestiques grâce à l’admission de leur caractère intercalaire.
Ainsi le fisc ne devrait pas considérer qu’elles entraînent la cessation de l’activité mais plutôt la continuité de l’exploitation par une autre société, la bénéficiaire, quand bien même elle n’a pas son siège sur son territoire.
En effet, si les fusions sont fiscalement envisageables au niveau interne c’est parce qu’un traitement fiscal autre que celui d’une cessation d’activité leur est appliqué. Celui-ci permet de ne pas taxer immédiatement les plus-values. Cette neutralité fiscale consiste, notamment, à considérer que la différence entre la valeur comptable des éléments apportés et leur valeur d’apport à la société absorbante devra continuer à s’analyser comme une plus-value latente et non pas réalisée. Par conséquent, si elle doit être constatée elle ne devra pas donner lieu à une imposition immédiate.
Le régime fiscal de faveur profite également personnellement aux associés par l’absence d’imposition du boni de liquidation dont la perception par eux est inexistante puisque la société n’est pas liquidée.
De même le boni de fusion, ne sera pas considéré comme une distribution de revenus imposables.
L’objectif recherché in fine par le régime de faveur est donc d’empêcher que la société absorbée subisse systématiquement une imposition dissuasive dans son État de rattachement.
Or, en l’absence d’harmonisation fiscale dans l’espace OHADA, seul quelques États membres ont étendu l’application de ce régime fiscal de faveur aux fusions intracommunautaires : il s’agit notamment du Cameroun (CGI Cameroun, art. 9) et du Togo (CGI Togo, art. 143).
Cela reste bien évidemment insuffisant. C’est pourquoi nous proposons un traitement fiscal harmonisé des fusions dans l’espace OHADA, afin de consacrer l’application du régime de faveur lorsque cette opération est intracommunautaire et qu’elle est justifiée par des motifs économiques (v. Sane Cl.-M., La mobilité des sociétés de l’espace OHADA : étude à la lumière du droit européen et international des sociétés, thèse Pau, 2017, n° 183 et s.).
L’espace OHADA prendrait ainsi exemple sur l’espace communautaire européen où le traitement fiscal de faveur des fusions intracommunautaires est consacré et harmonisé par la directive n° 2009/133/CE du 19 octobre 2009 (JOUE 25 nov. 2009, n° L 310/34).
Au regard de la fiscalité dissuasive encore applicable nous ne pouvons donc pas dire que l’espace OHADA est totalement ouvert et favorable à toute fusion intracommunautaire. Nous pouvons même penser qu’il faudrait un véritable alignement des planètes favorables pour que cette opération aboutisse. En réalité, afin que l’opération ne soit pas fiscalement dissuasive, il faudrait que la société soit au départ rattachée à un État d’origine qui ne taxe pas immédiatement les plus-values même si la société bénéficiaire de la fusion n’est pas sur son territoire. Autrement dit, il faudrait que la société absorbée soit rattachée au Cameroun ou au Togo, par exemple. Signalons toutefois que ces États ont limité le champ d’application de leur régime fiscal de faveur par le fait qu’ils exigent que la société absorbante soit membre d’une même organisation sous-régionale d’intégration économique qu’eux (CEMAC pour le Cameroun et CEDEAO pour le Togo).
Ainsi, en attendant la généralisation de l’application du régime de faveur aux fusions intracommunautaires dans tout l’espace OHADA, seule la fusion absorption d’une société camerounaise par une société ressortissant d’un État membre de la CEMAC ou l’absorption d’une société togolaise par une société ressortissant d’un État membre de la CEDEAO auront un coût fiscal supportable et sont donc réellement envisageables.
L’espace OHADA favorise-t-il les fusions intracommunautaires ?
Afrique - Ohada
15/02/2018
La dernière révision de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique a eu pour objectif de favoriser l’émergence de sociétés « à taille régionale » dans l’espace OHADA. Or l’opération de fusion intracommunautaire est l’une des techniques de concentration les plus parfaites qui pourrait permettre aux sociétés africaines d’atteindre cette taille, qui leur donnerait les moyens de faire face à la concurrence mondialisée, en augmentant leurs parts de marché. Pour autant peut-on vraiment dire que la réalisation des fusions intracommunautaires serait simplifiée dans l’espace OHADA ? L'analyse de Claude-Michel SANE, docteur en droit privé, élève avocat à l'EDASOP (Toulouse).
Dans l’espace OHADA, si la plupart des obstacles juridiques peuvent être franchis, la réalisation des fusions intracommunautaires demeure entravée par le coût fiscal de l’opération.
Les fusions intracommunautaires a priori favorisées par l’unification du droit applicable
Le premier élément qui pourrait favoriser la réalisation des fusions intracommunautaires dans l’espace OHADA, c’est qu’elles sont expressément autorisées par l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales (AUSGIE, art. 199). Ce dernier n’est donc pas au rang des réglementations qui prohibent clairement les fusions entre sociétés établies dans des États différents.
Par ailleurs, la réalisation des fusions intracommunautaires est juridiquement simplifiée grâce à l’application d’un régime unitaire. En effet l’unification du régime juridique applicable aux sociétés dans l’espace OHADA permet aux fusions intracommunautaires d’échapper au conflit de lois.
L’Acte uniforme étant le régime juridique unifié applicable dans l’État de chaque société participante, il en résulte qu’il régira seul l’ensemble de l’opération. Cela constitue une simplification de la réalisation des fusions intracommunautaires, car l’opération n’appellera pas application de deux lois différentes dont il faudrait déterminer le domaine d’application et coordonner lorsqu’elles se contredisent.
Enfin l’intégration juridique dans l’espace OHADA permet à la fusion intracommunautaire de ne pas être freinée par la question de la reconnaissance des sociétés participantes. En effet, faut-il rappeler que les fusions et les scissions sont des contrats ? Par conséquent, il apparaît que pour pouvoir y participer il faut préalablement, comme toute partie à un contrat, justifier d’une personnalité juridique ou plus précisément d’une personnalité morale puisqu’il s’agit de sociétés. Il faut donc une reconnaissance préalable et mutuelle de la personnalité morale de chaque société participante par les ordres juridiques concernés pour que l’opération puisse être valide.
À titre d’exemple, il faut une reconnaissance préalable de la société absorbante par l’ordre juridique de la société absorbée. Si cet ordre juridique ne reconnaît pas la personnalité morale de la société absorbante elle ne pourra pas admettre la validité du transfert universel du patrimoine effectué à son profit (sur le rôle de la reconnaissance en matière de fusion transfrontalière, v. Sane Cl.-M., La mobilité des sociétés de l’espace OHADA : étude à la lumière du droit européen et international des sociétés, thèse Pau, 2017, n° 84 et s.). Or, dans l’espace OHADA, les dispositions de l’article 199 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales ne laissent pas le choix aux ordres juridiques nationaux des États membres. Ceux-ci ne peuvent donc empêcher la réalisation d’une fusion intracommunautaire en ne reconnaissant pas la personnalité morale d’une société participante.
En raison de la primauté de l’Acte uniforme, aucune disposition nationale des États membres ne pourra servir de fondement à un refus de reconnaissance préalable, nécessaire à la validité d’une fusion intracommunautaire dans l’espace OHADA.
Au regard de ce qui précède nous pouvons donc voir que l’intégration juridique sous l’égide de l’OHADA a permis de lever plusieurs obstacles juridiques à la réalisation des fusions intracommunautaires.
Toutefois cela reste insuffisant tant que les obstacles fiscaux demeurent.
Les fusions intracommunautaires en réalité entravée par l’absence d’harmonisation de la fiscalité applicable
La fiscalité applicable à la fusion intracommunautaire dans les différents États membres de l’OHADA est celle réservée à la cessation d’activité. C’est dire que pour les fiscs des États membres une entreprise absorbée dans le cadre d’une fusion intracommunautaire est une entreprise qui cesse son activité et qui disparaît.
Ce traitement fiscal entraînera pour la société absorbée de multiples impositions difficilement supportables. Nous pensons notamment à celle, très lourde, de la plus-value latente dégagée par l’échange de titres. De même, la société absorbante peut avoir à régler des frais d’augmentation du capital.
Au regard de ce coût fiscal souvent dissuasif, une solution fiscale moins coûteuse s’avère indispensable à la réalisation de la fusion intracommunautaire. Celle-ci consiste à leur appliquer un régime fiscal de faveur comme celui qui existe au profit des fusions purement domestiques grâce à l’admission de leur caractère intercalaire.
Ainsi le fisc ne devrait pas considérer qu’elles entraînent la cessation de l’activité mais plutôt la continuité de l’exploitation par une autre société, la bénéficiaire, quand bien même elle n’a pas son siège sur son territoire.
En effet, si les fusions sont fiscalement envisageables au niveau interne c’est parce qu’un traitement fiscal autre que celui d’une cessation d’activité leur est appliqué. Celui-ci permet de ne pas taxer immédiatement les plus-values. Cette neutralité fiscale consiste, notamment, à considérer que la différence entre la valeur comptable des éléments apportés et leur valeur d’apport à la société absorbante devra continuer à s’analyser comme une plus-value latente et non pas réalisée. Par conséquent, si elle doit être constatée elle ne devra pas donner lieu à une imposition immédiate.
Le régime fiscal de faveur profite également personnellement aux associés par l’absence d’imposition du boni de liquidation dont la perception par eux est inexistante puisque la société n’est pas liquidée.
De même le boni de fusion, ne sera pas considéré comme une distribution de revenus imposables.
L’objectif recherché in fine par le régime de faveur est donc d’empêcher que la société absorbée subisse systématiquement une imposition dissuasive dans son État de rattachement.
Or, en l’absence d’harmonisation fiscale dans l’espace OHADA, seul quelques États membres ont étendu l’application de ce régime fiscal de faveur aux fusions intracommunautaires : il s’agit notamment du Cameroun (CGI Cameroun, art. 9) et du Togo (CGI Togo, art. 143).
Cela reste bien évidemment insuffisant. C’est pourquoi nous proposons un traitement fiscal harmonisé des fusions dans l’espace OHADA, afin de consacrer l’application du régime de faveur lorsque cette opération est intracommunautaire et qu’elle est justifiée par des motifs économiques (v. Sane Cl.-M., La mobilité des sociétés de l’espace OHADA : étude à la lumière du droit européen et international des sociétés, thèse Pau, 2017, n° 183 et s.).
L’espace OHADA prendrait ainsi exemple sur l’espace communautaire européen où le traitement fiscal de faveur des fusions intracommunautaires est consacré et harmonisé par la directive n° 2009/133/CE du 19 octobre 2009 (JOUE 25 nov. 2009, n° L 310/34).
Au regard de la fiscalité dissuasive encore applicable nous ne pouvons donc pas dire que l’espace OHADA est totalement ouvert et favorable à toute fusion intracommunautaire. Nous pouvons même penser qu’il faudrait un véritable alignement des planètes favorables pour que cette opération aboutisse. En réalité, afin que l’opération ne soit pas fiscalement dissuasive, il faudrait que la société soit au départ rattachée à un État d’origine qui ne taxe pas immédiatement les plus-values même si la société bénéficiaire de la fusion n’est pas sur son territoire. Autrement dit, il faudrait que la société absorbée soit rattachée au Cameroun ou au Togo, par exemple. Signalons toutefois que ces États ont limité le champ d’application de leur régime fiscal de faveur par le fait qu’ils exigent que la société absorbante soit membre d’une même organisation sous-régionale d’intégration économique qu’eux (CEMAC pour le Cameroun et CEDEAO pour le Togo).
Ainsi, en attendant la généralisation de l’application du régime de faveur aux fusions intracommunautaires dans tout l’espace OHADA, seule la fusion absorption d’une société camerounaise par une société ressortissant d’un État membre de la CEMAC ou l’absorption d’une société togolaise par une société ressortissant d’un État membre de la CEDEAO auront un coût fiscal supportable et sont donc réellement envisageables.
Source : Actualités du droit