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Laboratoires de biologie médicale : les évolutions préconisées par l’Autorité de la concurrence

Public - Santé
11/04/2019
Analysant le modèle sur lequel reposent les activités des laboratoires d’analyse médicale (LBM), l’Autorité de la concurrence constate des inefficiences, sans lien avec des considérations de santé publique. Elle suggère dès lors plusieurs évolutions, qu’il s’agisse de la détention du capital des LBM, des règles relatives à la sous-traitance, à la coopération et à l’implantation géographique des laboratoires ou bien encore de l’interdiction des remises tarifaires.
Analysant l’adéquation, en termes de préservation de la santé publique, du modèle économique sur lequel reposent les activités des laboratoires privés d’analyse médicale, l’Autorité de la concurrence note que l’encadrement législatif et règlementaire du secteur a été modifié à plusieurs reprises. Ceci, afin de permettre aux biologistes de s’adapter aux évolutions médicales et technologiques en la matière, notamment en se regroupant dans des structures dotées de davantage de moyens financiers et humains. Il s’est agi de maintenir et de garantir le caractère libéral de la profession de biologiste médical, tout en permettant une organisation économique plus « industrielle » de l’« outil de travail » que constitue le laboratoire

Néanmoins, les règles relatives à la détention du capital des LBM, revues à plusieurs reprises, ont introduit une inégalité entre laboratoires, particulièrement préjudiciable aux acteurs nationaux. Les règles de sous-traitance et de coopération, étroitement liées à celles de territorialité, censées accompagner la montée en compétence de LBM nouvellement accrédités, ont paradoxalement freiné leurs possibilités de spécialisation et de réduction de leurs coûts. Les règles de territorialité, qui visaient initialement à garantir un maillage territorial suffisamment dense, ont parfois des effets pernicieux et contreproductifs. Enfin, certaines règles tarifaires, et en particulier celles interdisant les remises, sont susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur la concurrence, sans pour autant toujours trouver de justification de santé publique. C’est dans la perspective de corriger ces effets négatifs que dont formulées des propositions d’évolution de notre système actuel.
 

a) Sur le capital des LBM


L'Autorité de la concurrence relève les évolutions successives du cadre relatif à la détention du capital des laboratoires de biologie médicale (LBM), qui ont entraîné un fonctionnement de ce marché « à deux vitesses » (les textes ayant d'abord permis une ouverture temporaire du capital des laboratoires dont certains ont bénéficié, avant de l'interdire peu après ; Ord. dite « Ballereau », n° 2010-49, 13 janv. 2010, JO 15 janv., ratifiée par L. n° 2013-442, 30 mai 2013, JO 31 mai).

Elle constate ainsi que certains laboratoires ont donc eu la possibilité de se restructurer par croissance externe et, ainsi, acquérir une « masse critique », tandis que d’autres structures n'ont plus le droit de le faire. Le cadre législatif, sans possible retour en arrière, génère aujourd'hui une profonde inégalité entre laboratoires quant à leur possibilité de se développer, qui apparaît à la fois injustifiée et inefficace.

Pour l’Autorité de la concurrence, une remise en cause totale des possibilités de restructuration des laboratoires n’apparaît pas souhaitable, puisqu’elle pourrait soit défavoriser les laboratoires français par rapport à leurs homologues européens, soit emporter un risque de manquement de la France au droit de l’Union européenne.
Néanmoins, l’Autorité préconise :
  • d’ouvrir totalement la participation au capital des LBM aux investisseurs non-biologistes, ou a minima, relever le plafond de participation actuellement fixé à 25 % ;
  • de permettre aux investisseurs biologistes de détenir jusqu’à 100 % des LBM, même s’ils n’y exercent pas ;
  • de maintenir, voire renforcer les règles assurant une stricte indépendance professionnelle du biologiste (maintien de la majorité des droits de vote aux biologistes, maintien de l’interdiction de fixer des objectifs commerciaux aux biologistes).
 

b) Sur la sous-traitance et la coopération entre LBM


Actuellement, notre système autorise un LBM à transmettre des échantillons prélevés à un autre LBM pour que ce dernier en effectue l’analyse (C. santé publ., art. L. 6211-19), ces transmissions ne pouvant excéder 15 % du nombre total d’examens de biologie médicale réalisés par le laboratoire d’origine par an (C. santé publ., art. D. 6211-17). Or, ces contraintes sur la sous-traitance peuvent réduire la capacité de spécialisation des laboratoires et induire des coûts supplémentaires importants.

Par ailleurs, la possibilité, pour deux LBM, de mutualiser un plateau technique réalisant les analyses, par le biais d’un contrat de coopération est certes possible aujourd’hui (C. santé publ., art. L. 6212-6). Mais comme la sous-traitance, ces contrats ne peuvent porter que sur un volume maximal de 15 % des activités des deux LBM, ceux-ci devant en outre se trouver sur le même « territoire de santé » ou sur deux territoires adjacents. Le dispositif limite donc fortement la capacité des LBM à recourir à ce type de contrat.

Pour lever ces contraintes, l’Autorité de la concurrence recommande :
  • de relever le quota applicable à la sous-traitance ;
  • d'assouplir les règles des contrats de coopération, en relevant la limite du nombre d’examens pouvant être réalisés.
 

c) Sur l’implantation géographique des LBM


Les règles d’implantation géographique des laboratoires de biologie médicale (C. santé publ., art. L. 6222-5) sont globalement perçues comme ayant un effet trop restrictif sur l’offre de soins.

L’Autorité a ainsi envisagé, lors de son instruction, un élargissement de la zone géographique à la région au lieu des trois territoires infrarégionaux actuellement imposés. Cette possibilité a néanmoins suscité l’inquiétude d’une large part des biologistes ayant répondu à la consultation publique, redoutant la création de monopoles, un impact négatif sur le maillage territorial et une augmentation des délais de rendu des analyses.

Cela étant, les règles de contrôle dévolues aux ARS (C. santé publ., art. L. 6222-3 et L. 6223-4) suscitent bel et bien des difficultés d’application, qui sont de nature à limiter les projets d’implantation de LBM dans certains territoires. De manière plus consensuelle, l’Autorité invite donc les pouvoirs publics à vérifier si de telles règles sont toujours justifiées par des considérations de santé publique ou si, au contraire, leur révision doit être engagée.

 

d) Sur les rapprochements de LBM


Actuellement, l’Agence régionale de santé peut s’opposer à une opération de fusion ou acquisition des LBM, si la part réalisée par la nouvelle entité dépasse 25 % du total des examens de biologie médicale réalisés sur la zone infrarégionale (C. santé publ., art. L. 6222-3) ou si l’acquisition par un investisseur lui permet de contrôler sur une même zone 33 % du total des examens de biologie médicale réalisés (C. santé publ., art. L. 6223-4).

L’Autorité de la concurrence constate que ces règles ne permettent pas toujours d’optimiser l’organisation territoriale des LBM, certains territoires de santé n’étant pas suffisamment attractifs pour les acteurs de la biologie médicale.

Elle préconise donc une révision de ces dispositions :
  • en élargissant le territoire de contrôle à la région ;
  • en assouplissant les critères applicables, pour améliorer les implantations dans les territoires peu attractifs.
 

e) Sur les remises tarifaires


L’article L. 6211-21 du Code de la santé publique prévoit actuellement que les examens sont facturés au tarif de la nomenclature des actes de biologie médicale, au sens du Code de la sécurité sociale (CSS, art. L. 162-1-7 et L. 162-1-7-1).

Il en résulte que lorsqu’un établissement de santé émet un appel d’offres, les LBM privés ne peuvent pas proposer des remises sur les tarifs et doivent se différencier sur d’autres critères, tels que les délais de restitution des résultats. Les établissements de santé ne peuvent donc actuellement faire pleinement jouer la concurrence en prix entre LBM du fait de l’interdiction des ristournes, ce qui se traduit par une augmentation de leurs coûts de fonctionnement, pesant sur les dépenses de santé publique. Les LBM ne peuvent pas non plus accorder de remises lorsqu’ils réalisent une analyse dans le cadre d’une sous-traitance demandée par un autre LBM.
 
Pour l’Autorité de la concurrence, cette interdiction des ristournes se comprend lorsqu’elle porte sur les prestations directement destinées aux patients, qui ne sont pas en mesure de déterminer la qualité des analyses menées. En revanche, elle ne trouve pas de justifications dans le cadre de relations entre professionnels (notamment entre les laboratoires et les établissements de santé publics ou privés et entre laboratoires dans le cadre de la sous-traitance), qui sont parfaitement à même d’évaluer la qualité des prestations et ne subissent pas d’asymétrie d’information.

C’est la raison pour laquelle l’Autorité de la concurrence s’interroge sur le maintien de telles interdictions et préconise d’autoriser les remises tarifaires pour rétablir l’égalité entre LBM privés et publics dans les appels d’offres. Les LBM étant soumis à des règles strictes d’accréditation, il n’apparaît pas qu’une telle autorisation soit de nature à affecter la qualité des examens réalisés.
Source : Actualités du droit