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E-sport et propriété intellectuelle : quel encadrement du droit des streamers et youtubeurs ?

Affaires - Immatériel
24/10/2019
La pratique de l'e-sport est de plus en plus répandue mais le droit positif reste à la peine. Le point sur les problématiques soulevées et les pistes de solution avec Cédric Dubucq, avocat au barreau d’Aix-en-Provence.
L’e-sport s’entend comme les compétitions de jeux vidéo qui se déroulent soit sur internet, soit en réseau local (ce que l’on appelle les LAN). Ces compétitions sont aujourd’hui de plus en plus regardées et diffusées à travers le monde. Cela soulève naturellement certaines problématiques, notamment reliées à la question de la propriété intellectuelle. Cela est d’autant plus vrai que l’e-sport ne bénéficie pas, à l’inverse du sport traditionnel, d’un régime juridique unifié.
 
L’avancée la plus intéressante en matière d'e-sport est la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016 (L. n° 2016-1321, 7 oct. 2016, JO 8 oct. 206, art. 101 et s.) qui est venue consacrer légalement les compétitions de jeux vidéo.
 
Création d’un tournoi e-sportif : nécessité d’un accord préalable de l’éditeur du jeu
La loi pour une République numérique autorise désormais la création de tournois e-sportifs, à condition qu’il y ait au moins deux compétiteurs, ou deux équipes, qui s’affrontent pour un score ou une victoire.
 
Cela ouvre donc la porte à la création de tournois par des streamers ou youtubers (pratique fréquente, sur le jeu « League of Legends », par exemple).
 
Cependant, la création de ces tournois est subordonnée au respect d’une condition préalable : les organisateurs doivent obtenir l’autorisation de l’éditeur du jeu vidéo en question. En effet, conformément au droit la propriété intellectuelle, l’utilisateur d’un jeu vidéo ne possède pas les droits d’exploitation mais uniquement une licence d’utilisation.
 
Cette licence contient le plus souvent des clauses de propriété intellectuelle précisant que l’éditeur conserve l’ensemble des droits sur le jeu, parmi lesquels se trouve l’utilisation commerciale du titre.
 
La diffusion d’un tournoie-sportif également soumise à l’accord préalable de l’éditeur du jeu
La diffusion d’un tournoi e-sportif fait également débat. En effet, s’il s’agit d’une communication de l’œuvre au public, au sens de l’article L. 122-2 du Code de la propriété intellectuelle, cette diffusion requiert l’autorisation de l’éditeur.
 
Cependant, un arrêt « BSA » du 22 décembre 2010 rendu par la Cour de justice de l’Union européenne précise que « la diffusion télévisuelle de l’interface graphique d’un programme d’ordinateur n’en constitue pas une communication au public, car elle ne permet pas au téléspectateur de réaliser la fonction de cette interface, à savoir interagir avec le programme » (CJUE, 22 déc. 2010, aff. C-393/09, B. – S. c/M.).
 
Cependant, en pratique, la diffusion d’un tournoi e-sportif reste le pré carré de l’éditeur du jeu. Par exemple, Riot Games (éditeur du jeu « League of Legends »), a annoncé en 2017 qu’il ne resterait plus qu’un seul stream français pour les compétitions européennes et américaines (v. https://team-aaa.com/fr/actualite/plus-quun-seul-stream-francais-pour-les-lcs_105270). Et c’est donc Riot Games qui a choisi lequel des candidats allait pouvoir conserver ses droits de diffusion.
 
Vers un rattachement de l’e-sport au droit du sport ?
Le rattachement de l’e-sport au droit du sport est une solution qui est préconisée par de nombreux professionnel. Cela permettrait, en effet, d’offrir à l’e-sport un régime juridique complet et, notamment, de combler les lacunes en matière de propriété intellectuelle.
 
Cela permettrait ainsi d’appliquer l’article L. 333-1 du Code du sport, qui dispose que « Les fédérations sportives, ainsi que les organisateurs de manifestations sportives mentionnés à l'article L. 331-5, sont propriétaires du droit d'exploitation des manifestations ou compétitions sportives qu'ils organisent ».
 
Sachant que le deuxième alinéa de cet article précise que « Toute fédération sportive peut céder aux sociétés sportives, à titre gratuit, la propriété de tout ou partie des droits d'exploitation audiovisuelle des compétitions ou manifestations sportives organisées chaque saison sportive par la ligue professionnelle qu'elle a créée, dès lors que ces sociétés participent à ces compétitions ou manifestations sportives. La cession bénéficie alors à chacune de ces sociétés ».
 
Reste à constater, néanmoins, que cette solution peine à être acceptée, avec comme principal argument que l’e-sport ne comprend aucune activité sportive, au sens classique du terme.
Source : Actualités du droit