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Coronavirus : pas d'urgence à assouplir les conditions de pratique de l'activité physique

Public - Droit public général
05/05/2020
Saisi en référé d’une demande de suspension du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 par un particulier réclamant le droit de pratiquer une activité physique plus d'une heure par jour et à une distance de son domicile supérieure à un kilomètre, le Conseil d’État déclare la condition d’urgence de l’article L. 521-2 du CJA non remplie.
Un particulier demandait au Conseil d'État la suspension du 5° du I de l'article 3 du décret du 23 mars 2020, en ce que ses dispositions restreignaient la durée et la distance des déplacements liés à l'activité physique. À titre subsidiaire, il demandait à ce qu'il soit enjoint au Premier ministre « de revoir significativement à la hausse les restrictions de durée et de distance ».
 
Il soutenait que la condition d'urgence était remplie dans la mesure où le décret portait atteinte à la liberté d'aller et venir. Il considérait également que l'atteinte portée à cette liberté fondamentale était disproportionnée par rapport aux risques sanitaires encourus.
 
Le Conseil d’État rappelle toutefois que « la circonstance qu'une atteinte à une liberté fondamentale, portée par une mesure administrative, serait avérée n'est pas de nature à caractériser l'existence d'une situation d'urgence » au titre de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.
 
En l’espèce, le requérant n’avait pas démontré l’urgence à mettre fin à l’atteinte qu’il considérait comme grave et manifestement illégale à sa liberté d’aller et venir mais s’était borné à soutenir que le décret du 23 mars 2020 portait atteinte à cette liberté. Dans ces conditions, le Conseil d’État déclare la condition d’urgence particulière non remplie et rejette la requête.

 
Le Conseil d'État avait eu à connaître d'une demande similaire deux jours auparavant (CE, ord., 28 avr. 2020, n° 440148), un particulier ayant demandé à bénéficier du droit de rendre visite à un proche, à son domicile ou à l'extérieur, chose également prohibée par le décret du 23 mars 2020 (v. Coronavirus : pas d’urgence à rendre visite à un proche !, Actualités du droit, 1er mai 2020).
 
 
Ces deux demandes, qui se sont soldées par un rejet faute d'urgence, peuvent paraître en décalage avec les nombreuses requêtes dont a eu à connaître la Haute cour depuis le début du confinement dont l’objet était de renforcer la protection des citoyens et des professionnels de la santé contre le coronavirus :  
Les deux ordonnances des 28 et 30 avril permettent toutefois de rappeler que le confinement décrété en premier lieu par décret du 16 mars 2020 (D. n° 2016-260, 16 mars 2020, JO 17 mars ) porte une atteinte importante à la liberté d'aller et venir, dont la valeur constitutionnelle a été consacrée (Cons. Const., 7 déc. 1979, n° 79-107 DC), et qui est protégée par le 4e protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme à son article 2 « liberté de circulation », dont le 3e alinéa prévoit que « l’exercice (du droit de circuler librement) ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l’ordre public (…), à la protection de la santé (…) ».
 
Il convient de rappeler que toute mesure de police doit être adaptée, nécessaire et proportionnée à l’objectif de protection de l’ordre public recherché (CE, 19 mai 1933, n° 17413, Benjamin ; CE, ass., 26 oct. 2011, n° 317827).  
 
 La question de savoir si l'atteinte portée à la liberté d'aller et venir par l'article 3 du décret du 23 mars 2020 est proportionnée au but recherché, à savoir la protection de la santé, est une question épineuse. Pour que les juges puissent y répondre, il faudrait d’abord établir quel était le but précis de la restriction de la liberté d’aller et venir, à laquelle il devrait être mis fin avant que le virus ne disparaisse : pallier le manque de moyens (masques, tests, etc.), éviter de surcharger les hôpitaux ou encore empêcher la propagation du virus.
 
De plus, répondre à cette question de la proportionnalité impliquerait également de pouvoir comparer le bilan français avec celui des États qui n'ont pas imposé ces mesures de confinement strict : alors que certains États dans lesquels les sorties pour pratiquer de l’activité physique ou pour se promener sont interdites connaissent un bilan très lourd, d'autres dans lesquels les citoyens gardent une liberté de circuler semblent mieux maîtriser la situation. Il sera donc très difficile de dire si l’interdiction de pratiquer une activité physique à l’extérieur durant plus d’une heure ou à une distance du domicile supérieure à 1 km ou encore l’interdiction de rendre visite à un proche constituent des mesures proportionnées à la protection de la santé, et ce, sur toute la période du 17 mars au 10 mai 2020.
Source : Actualités du droit