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Classement douanier des marchandises : contradiction et incohérence à la Cour de cassation

Transport - Douane
12/06/2020
Entre règlement de classement et règle générale d’interprétation 2a) sur l’importation d’un appareil incomplet, la Cour de cassation profite de deux arrêts relatifs au classement tarifaire de MovieCube pour fixer une hiérarchie des normes juridiques servant à déterminer l’espèce douanière des marchandises, cependant non sans contradiction et incohérence.
Après un premier arrêt rendu en 2019 (Cass. com., 7 mai 2019, n° Y 17-22.652), la Cour de cassation vient de se prononcer pour la seconde fois en moins d’un an sur le classement tarifaire des produits MovieCube importés par la société Dexxon. Ce second arrêt ici rapporté a été prononcé le 4 mars 2020. L’intérêt de ces arrêts tient moins à la décision elle-même de confirmation du classement tarifaire soutenu par la Douane à la position 8521 (appareils d’enregistrement ou de reproduction vidéophoniques) plutôt qu’à la position 8522 (parties des appareils du 8521) soutenue par Dexxon, que dans le raisonnement contradictoire et incohérent de la Haute juridiction.

Le débat bien connu est celui du classement d’un appareil incomplet à l’importation. La règle générale d’interprétation 2a de la nomenclature combinée (NC) considère comme complet tout article non complet ou non fini à la condition qu’il présente à l’importation les caractéristiques essentielles de l’article complet ou fini. Cette règle a été interprétée par la Cour de Justice de l’UE qui estime qu’un produit n’est complet que s’il présente à l’importation les éléments lui permettant de répondre à son usage final (en ce sens, voir CJCE, 11 juin 2009, aff. C-16/08, Schenker SIA c/ Valsts ieņēmumu dienests, ECLI:EU:C:2009:366).

En l’espèce, les appareils multimédia dénommés MovieCube sont importés sans disque dur et sans une partie de leur électronique, alors que leur fonction principale est l’enregistrement et le stockage de fichiers multimédia.
La question du classement tarifaire de ce type d’appareil a par ailleurs été tranchée par un règlement de la Commission CE n°295/2009 du 18 mars 2009, qui conclut au classement au 8521 d’un appareil destiné à l’enregistrement et à la reproduction du son et des images, importé sans disque dur (ce dernier est intégré après importation), à condition que cet appareil soit doté à l’importation de toute l‘électronique nécessaire à l’exécution des fonctions d’enregistrement et de reproduction et qu’il ne puisse être utilisé à d'autres fins que ces dernières.

Règlement de classement Vs. Règle générale d’interprétation

Dans son premier arrêt du 7 mai 2019, la Cour de cassation a tout d’abord analysé le classement des MovieCube au regard du règlement de classement, concluant à son inapplicabilité au MovieCube, puis confirmé leur classement au 8521 sur le fondement de la seule règle générale 2a précitée. Le 4 mars dernier, elle a revanche écarté purement et simplement l’application du règlement de classement (qu’elle considère comme inopposable en l’espèce) et retenu directement le classement au 8521 sur le fondement de la seule règle 2a. Elle estime en effet que les MovieCube ne présentent pas toute l‘électronique nécessaire à l’exécution des fonctions d’enregistrement et de reproduction et qu’ils peuvent être utilisés à d’autres fins que ces dernières.

Il y a là à tout le moins de graves incohérences de la part de la Haute cour : comment peut-elle, d’un côté, constater l’opposabilité d’un règlement de classement, et d’un autre, écarter ce dernier de tout débat (pour cause d’inopposabilité), alors que les mêmes produits sont en cause dans les deux affaires ? Il faut y voir une maladroite tentative de réconciliation de deux arrêts de cour d’appel manifestement contradictoires.

Hiérarchie des normes de classement

Par là, la Cour de cassation fixe aussi dans la hiérarchie des normes la place des règlements de classement : les règles générales d’interprétation contenues dans la nomenclature combinée prévalent sur ces règlements de classement adoptés par la Commission. La Haute juridiction précise implicitement le maniement des différentes normes européennes. Soit le produit considéré répond strictement à la description d’un règlement de classement et ce dernier lui est applicable, soit le produit n’y répond pas et le règlement n’est pas un instrument pertinent en vue de son classement tarifaire. Le règlement de classement ne se substitue donc pas aux règles d’interprétation auxquelles le juge doit prioritairement, sinon exclusivement se référer, si le produit n’est pas celui visé par le règlement. Cette limitation stricte de l’application des règlements de classement ne déplaira pas forcément aux praticiens douaniers.

Contradiction sur le fondement

Cependant, seconde incohérence, comment justifier la non-application du règlement de classement du fait de l’absence, à l’importation des MovieCube, de l‘électronique nécessaire à l’exécution des fonctions d’enregistrement et de reproduction (par là la Cour reconnait que l’appareil n’a pas les caractéristiques d’un appareil complet), et soutenir un classement au 8521 sur le fondement de la règle 2a, qui prévoit pourtant que l’appareil incomplet à l’importation doit, pour être considéré comme complet, présenter à l’importation les éléments lui permettant de répondre à son usage final (à savoir, pour les MovieCube, enregistrer et stocker des données). C’est clairement et manifestement contradictoire.

Il ressort donc de ces arrêts de 2019 et 2020 une interprétation critiquable de la règle générale 2a faite par la Haute cour, incohérente avec sa propre interprétation du règlement de classement, mais également avec la jurisprudence de la Cour de Justice de l’UE.
Source : Actualités du droit