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Cour d’assises et audition de témoin : quelques précisions de la Cour de cassation

Pénal - Procédure pénale
18/06/2020
Dans un arrêt du 17 juin 2020, la Cour de cassation rappelle les règles qui s’appliquent à l’audition des témoins cités devant la cour d’assises alors qu’une plainte avec constitution de partie civile a été déposée contre l’un d’eux par l’accusé. 
Un corps sans vie est découvert le 4 juin 2016, portant de graves blessures au visage. Un homme, mis en examen, reconnaît qu’il avait frappé la victime, précisant que cette dernière l’avait agressé sexuellement. Il explique avoir caché le corps de la victime, s’être emparé de son véhicule avant d’y mettre feu le lendemain. Le juge d’instruction le met en accusation devant la cour d’assises pour meurtre, vol, dégradations volontaires par incendie et conduite sans permis. La cour d’assises le déclare coupable des faits et le condamne à vingt ans de réclusion, à l’interdiction de détenir ou de porter une arme soumise à autorisation pendant quinze ans et ordonne la confiscation des scellés.
 
L’accusé interjette appel et le ministère public forme appel incident. Il résulte du procès-verbal des débats que la défense fait citer comme témoin le policier qui a entendu l’accusé au cours de l’enquête. Le ministère public s’oppose à son audition car une plainte avec constitution civile, pour faux et usage de faux, a été déposée pour l’accusé. « Son audition porterait atteinte au secret de l’information et aux droits de la défense ». La défense de son côté, a déposé des conclusions pour s’opposer au refus de cette audition.
 
Finalement, la cour, par arrêt incident, « dit n’y avoir lieu à procéder à l’audition de ce témoin, au motif que la plainte déposée contre lui vise en particulier les conditions dans lesquelles a été établi le procès-verbal de la deuxième audition de l’accusé au cours de sa garde à vue ». Elle estime également que le visionnage de l’audition apportera un éclairage suffisant sur les propos tenus par l’accusé mais aussi qu'auditionner le témoin hors la présence de son avocat (à laquelle il a droit en raison des faits de nature criminelle qui lui sont reprochés) porterait atteinte à ses droits et n’est pas nécessaire à la manifestation de la vérité.
 
L’accusé forme un pourvoi en cassation. Il reproche à l’arrêt de ne pas avoir procédé à l’audition de l’enquêteur, « cité en qualité de témoin par la défense, et de l’avoir en conséquence autorisé à quitter immédiatement la salle des témoins ».
 
La Cour de cassation censure l’arrêt. Elle rappelle que :
- l’article 6, §3 d) de la CEDH prévoit que tout accusé « a droit d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge et d’obtenir la convocation et l’interrogatoire des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge » ;
- et il résulte des articles 329, 330, 331 et 335 du Code de procédure pénale que tout témoin cité par le ministère public ou par les parties et dont le nom a été régulièrement signifié « est acquis aux débats devant la cour d’assises et doit déposer, après avoir prêté serment, sauf s’il se trouve dans un cas d’empêchement ou d’incapacité prévu par la loi, ou si toutes les parties ont renoncé à son audition ».
 
Alors, la Haute juridiction juge que la cour d’assises a méconnu ces dispositions pour plusieurs raisons :
- « en l’absence de toute disposition légale dispensant ce témoin, acquis aux débats, de comparaître, la cour ne pouvait énoncer qu’elle n’entendait pas recevoir sa déposition, ce témoin pouvant refuser de répondre à toute question concernant les faits visés par une plainte avec constitution de partie civile déposée contre lui par l’accusé, cette procédure étant distincte de celle jugée par la cour d’assises » ;
- le président de cour d’assises, au titre de l’article 309 du Code de procédure pénale, peut écarter, d’office ou à la demande du ministère public ou des parties, toute question compromettant la dignité des débats, ou qui sont étrangères à leur objet ;
- tout accusé a le droit d’interroger ou de faire interroger des témoins donc l’audition sollicitée ne peut être remplacée par le visionnage de l’audition de l’accusé au cours de sa garde à vue ;
- et « la cour ne pouvait énoncer que l’audition demandée n’était pas nécessaire à la manifestation de la vérité, alors que cette nécessité ne pouvait être appréciée qu’au vu des questions qui seraient posées au témoin et de ses réponses, que la juridiction ne connaissait pas quand elle a écarté la nécessité de cette audition ». 
 
L’arrêt de la cour d’assises est alors cassé et annulé.
Source : Actualités du droit