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Valeur transactionnelle : un logiciel « intégré » à l’article 71 du CDU

Transport - Douane
14/09/2020
La valeur économique d’un logiciel conçu dans l’Union européenne et mis gracieusement par l’acheteur-importateur à la disposition du vendeur établi dans un pays tiers s’ajoute à la valeur transactionnelle d’une marchandise importée et comprenant ledit logiciel, selon un arrêt du 10 septembre 2020 de la CJUE interprétant l’article 71, § 1, b), du Code des douanes de l’Union.
 
Un opérateur dans l’UE fabrique des véhicules qui contiennent des unités de commande, celles-ci provenant de différents pays tiers et s’apparentant à un système embarqué qui commande des dispositifs physiques dans ces véhicules. Cet opérateur dispose d’un logiciel (qu’il a développé ou fait développer) nécessaire pour effectuer diverses opérations techniques reprises par l’unité de commande du véhicule ; propriétaire du logiciel, il n’a pas à acquitter de redevance pour celui-ci. Il le met gracieusement à la disposition des fabricants d’unités de commande qui l’utilisent pour effectuer un essai de fonctionnement avant la livraison des unités de commande. Ce logiciel sert aussi à déterminer si des erreurs sont survenues lors de la livraison, ont résulté du transport ou sont apparues à l’occasion du déploiement du logiciel. Le tout fait l’objet d’un contrat entre l’opérateur et les fabricants hors UE. À l’importation dans l’Union des unités de commande comprenant le logiciel installé sur ces dernières en dehors de l’UE par le fabricant, l’opérateur indique pour la valeur en douane de ces unités de commande le prix payé aux fabricants, sans y ajouter les coûts de développement du logiciel. Or, pour la Douane, ces coûts-ci doivent être intégrés à la valeur en douane, ce qui de fait augmente cette valeur et les droits dus. L’opérateur conteste cette position et l’affaire arrive devant la Cour de justice interrogée via une question préjudicielle sur l’interprétation à donner de l’article 71, § 1, b) du Code des douanes de l’Union (CDU) ci-dessous reproduit : permet-il ou non d’ajouter à la valeur transactionnelle d’une marchandise importée la valeur économique d’un logiciel conçu dans l’Union et mis gracieusement par l’acheteur à la disposition du vendeur établi dans un pays tiers ?
 
Pour mémoire, l’article 71 du CDU, relatif à la détermination de la valeur transactionnelle des marchandises importées dans l’Union, dispose en son § 1 que le prix effectivement payé ou à payer pour les marchandises importées est complété, selon son point b), par « la valeur, imputée de façon appropriée, des produits et services suivants lorsqu’ils sont fournis directement ou indirectement par l’acheteur, sans frais ou à coût réduit, et utilisés dans le cadre de la production et de la vente pour l’exportation des marchandises importées dans la mesure où cette valeur n’a pas été incluse dans le prix effectivement payé ou à payer :
i)      matières, composants, parties et éléments similaires incorporés dans les marchandises importées ;
ii)      outils, matrices, moules et objets similaires utilisés lors de la production des marchandises importées ;
iii)      matières consommées dans la production des marchandises importées ; et
iv)      travaux d’ingénierie, d’étude, d’art et de design, plans et croquis, exécutés ailleurs que dans l’Union et nécessaires pour la production des marchandises importées ».
 
De plus, le § 3 de cet article 71 dispose qu’aucun élément n’est ajouté au prix effectivement payé ou à payer, à l’exception de ceux qui sont prévus par cet article.
 
Logiciel « intégré » à l’article 71
 
L’opérateur soutient notamment que le § 1 ci-dessus ne vise pas les logiciels et que le § 3 ne permet pas une interprétation extensive de la liste pour les y ajouter.
 
En revanche, pour la CJUE, même si les logiciels ne figurent pas littéralement dans l’énumération de l’article 71, § 1, b), i) à iv), et même si le § 3 de cet article limite les possibilités de correction de la valeur en douane aux seuls éléments prévus à cet article, ce dernier s’applique à ce litige. Et il permet, pour déterminer la valeur en douane d’une marchandise importée, d’ajouter à sa valeur transactionnelle la valeur économique du logiciel conçu dans l’UE et mis gracieusement par l’acheteur à la disposition du vendeur établi dans un pays tiers.
 
La Cour se fonde sur une décision antérieure dans laquelle elle a retenu que, lors de l’importation d’ordinateurs que le vendeur a équipés d’un logiciel comportant un ou plusieurs systèmes d’exploitation mis gratuitement à sa disposition par l’acheteur, la détermination de la valeur en douane de ces ordinateurs implique d’ajouter, à la valeur transactionnelle de ceux-ci, la valeur de ce logiciel, lorsque cette dernière n’a pas été incluse dans le prix effectivement payé ou à payer (CJUE, 16 nov. 2006,n° C-306/04, Compaq Computer International Corporation c/ Inspecteur der Belastingdienst – Douanedistrict Arnhem, EU:C:2006:716, points 23, 24 et 37). Cette Cour en déduit qu’il est « sans importance, aux fins de la détermination de la valeur en douane de la marchandise importée, que le produit dont il y a lieu d’ajouter la valeur soit un bien immatériel, tel qu’un logiciel » et que la rédaction de l’article 71 ci-dessus reproduite, qui renvoie expressément aux « produits » ou aux « services », ne limite pas son champ d’application aux biens matériels.
 
La CJUE conforte aussi sa solution par l’économie de la disposition (la valeur en douane des marchandises importées est complétée par la valeur des produits, mais également des services qui répondent aux conditions fixées à celle-ci) et par une conclusion du Comité du Code des douanes.
 
Absence d’effet des dispositions contractuelles
 
La Cour écarte également les contrats passés entre l’importateur et les vendeurs qui limiteraient l’ajout de la valeur du logiciel. En effet, ces opérateurs ne peuvent pas se prévaloir de dispositions contractuelles en vue de limiter les possibilités de correction permises par l’article 71, § 1, b) : la valeur en douane doit refléter la valeur économique réelle d’une marchandise importée et donc tenir compte de l’ensemble des éléments de cette marchandise qui présentent une valeur économique ; et ladite correction reposant sur des critères objectifs, elle ne peut pas être affectée par des dispositions contractuelles.
 
Plus d’information sur ce sujet dans Le Lamy guide des procédures douanières,370-38, et dans Le Lamy transport, tome 2, n° 1366. La décision ici présentée est intégrée à ces numéros dans la version en ligne des ouvrages sur Lamyline dans les 48 heures au maximum à compter de la publication de la présente actualité.
 
Source : Actualités du droit